FÉCAMP-FESTIF
  
Page créée le 13 août 2017
    Journal de Rouen du 27 juillet 1924
Le Congrès régionaliste de Fécamp
Une visite à l’exposition des Arts régionaux

 
     Au pied de la tour majestueuse de l’église abbatiale, un des plus nobles clochers de Normandie, l’exposition emplit trois vastes salles au rez-de-chaussée du Collège. La première salle est surtout celle des vues de sites et monuments, de l’“iconographie” et des livres de la “bibliothèque” ; celle des industries artistiques locales, d’autrefois et d’aujourd’hui ; la troisième a été donnée aux artistes qui ont représenté la région.
     Nous notons ci-dessous, les œuvres d’art ancien où actuel les plus importantes que l’on rencontre dans ce vénérable musée temporaire que M. René Legros a su former, avec une très sure et savante ingéniosité.

     Première Salle : Les parois sont tapissées en pièces rares d’“iconographies”, gravures sur métal et lithographies, vues de monuments et paysages. Celles relatives à Fécamp sont empruntées aux collections Rable et René Legros, celles relatives au Havre et à ses environs, aux trésors d’images patiemment rassemblé par M. Brindeau. En joignant à une série du Musée du Vieux-Fécamp, une de Felix Bertel, on a formé la suite sérieuse des calendriers officiels placards à en-tête illustré de 1661 au second Empire. Dans le calendrier de l’an III, les noms des saints sont remplacés par ceux de fleurs et de légumes !
Il était prévu une section “typographie” et elle est faite de choix des belles publications de deux notables imprimeurs fécampois, les Maisons Banse frères et L. Durand et fils. Ce sont vraiment des “maîtres-imprimeurs” dans le plein sens du titre. M. Banse est l’auteur et l’éditeur de bonnes recherches d’histoire locale : L’Église Saint-Etienne de Fécamp, Fécamp au temps des diligences. De ses presses sont sorties les études d’art local de M. A.-P. Leroux : Les meubles cauchois, L’art à la ville…

     L’imprimerie Durand expose toute une bibliothèque où tiennent une bonne place les études d’histoire régionale du savant Havrais qu’est M. Alphonse Martin. Dans cette vitrine, on distingue, pour leur perfection d’exécution, L’Œuvre littéraire de L. Durand, écrivain délicat autant qu’imprimeur habile, Le Livre d’or des Soldats fécampois, Le cinquantenaire de la Bénédictine…

     Deux photographes de Fécamp, MM. Cayez et Hervé, ont fait de très beaux tirages au charbon, et report aux encres grasses de coins pittoresques cauchois, vielles fermes blotties derrière les “fossés”.

     Voici encore les plans originaux et documentés à la fois du “Clos normand” dû à la collaboration de M. Victorien Lelong, directeur des Ecoles rouennaises des Beaux-Arts et d’Architecture, avec M. Pierre Chirol, architecte de la Chambre de commerce de Rouen ; on sait que ce “clos” est le pavillon qui à l’Exposition des arts appliqués vde 1925, abritera les envois de la troisième région économique de la Haute-Normandie.
Une élévation de villa, sainement inspirée des usages régionaux de construction et de décoration, est l’œuvre d’un architecte fécampois M. Caniel, qui est aussi un peintre de mérite.

     La commune de Bréauté a un instituteur, M. Gardes, comme il serait souhaitable d’en rencontrer partout : il a la curiosité du passé de sa résidence et a envoyé ici les planches d’une prochaine monographie locale qu’on ne saurait trop l’encourager à poursuivre.
     M. Gautier, naturaliste à Fécamp, a garni une vitrine de tous les oiseaux qui hantent la côte, les vallées et les bois du pays de Caux.

    Deuxième salle : Ce pays, entendez plus étroitement le triangle dont la base joindrait Caudebec à Fécamp, fut au XVIIIe siècle et jusqu’au milieu du XIXe, un centre de production de meubles rationnels et très heureusement décorés, reliefs, méplats sur les panneaux, attributs et bouquets détachés des corniches. Il n’y a jamais eu de plus belles “armoires normandes” que les cauchoises ; les artisans de villages qui les firent furent souvent de vrais artistes.
La série ici réunie, qui n’est qu’un choix sévèrement fait dans les intérieurs fécampois, permet de suivre pendant près d’un siècle l’évolution des styles, mais il faut prendre garde au retard de quelques années que la mode mettait à gagner ces campagnes.

     Voici des “armoires de mariage” faites surement à Fécamp, en pur Louis XV, en rocaille, sans aucun ornement rectiligne (collection René Legros) puis celles Louis XVI (collection Mathurin Eudeline), chargées, parfois surchargées d’attributs galants, colombes se becquetant, carquois d’où tombent des flèches d’amour, ou bien au temps où règne le “goût de la nature”, après Rousseau, lorsque la reine joue à la fermière du Trianon, ce sont des faisceaux d’instrument champêtres. Tout à coup aux colombes, aux houlettes vient bizarrement s’associer le bonnet phrygien, la devise “Vivre libre et mourir” (collection Diéterle et Auger, de Sainneville). Tout à la fin du XVIIIe siècle, l’ornement s’allège, s’assèche : c’est du Directoire que datent les meubles très fins des collections Sorel et Lanctuit.

     Les autres pièces du mobilier courant n’ont pas été oubliés : un lit Directoire, un buffet, un vaisselier (collection Eudeline) ; les “bonnetières”, châsses pour ces reliques qu’étaient ces monumentales coiffures des jours de fêtes (collection Ernest Braquehaie). Cette belle industrie des meubles cauchois est toujours vivace : c’est la plus précieuse démonstration que procure cette exposition. À Fécamp même, MM. André Cousin, exposant d’un buffet ; Louis Demongé, le frère de l’écrivain patoisant, ces “compagnons” qui exposent une cheminée, et Jules Frébourg (bibliothèque, sièges) sont les bons continuateurs des menuisiers d’antan : comme eux ils font solide, élégant, original.

     On sait l’agrément instructif des poupées pour la présentation des costumes anciens : dernièrement, une initiative du Comité de l’Orphelinat des P.T.T. a suscité dans toute la France des expositions de poupées en tenues régionales. Les costumes cauchois, si sobres pour les hommes (blouse bleue à broderies blanches sur les épaules), si variés et opulents pour les femmes, sont rappelés ici par un groupe de costumes de Fécamp, du Havre, de Montivilliers…. Jadis établis par les écoles de filles, à l’instigation d’une inspectrice, Mme Marie Koenig ; la collection qui embrasse toutes les provinces, appartient aujourd’hui au musée pédagogique de la rue Gay-Lussac à Paris. M. Duval de Bayeux, a fourni des modèles des costumes du Bessin, femmes et hommes, ceux-ci absorbés en vrais normands, par une partie savante de dominos.

     Des pièces authentiques de costumes féminins ont été demandées à la réputé collection Voisin de Fauville, dont la dispersion est prochaine.
Il y a encore, comme dans toute exposition, des gaines d’horlogesdu décor de la vie normande, des gaines d’horloge (dont le type très particulier de Saint-Valery-en-Caux), des chenets, des crémaillères, des plaques de cheminées, deux séries importantes de corps de montre et de clefs (Mme O. Le Berquier), de la céramique usuelle, de l’argenterie, des bijoux, croix et “Saint-Esprit” en “diamant d’Alençon”. Un magnifique collier complet (Melle Avisse)….
On doit à M. Sorel, pharmacien à Fécamp, de voir une haute curiosité anecdotique : cette liasse de feuillets jaunis portant fragments plus jaunis encore de plantes normandes, c’est une partie du premier herbier de Georges Cuvier : à fécamp s’orienta la carrière de l’auteur des Révolutions du Globe, du créateur de la paléontologie animale. Il avait débuté comme precepteur des enfants de Hérley, au château de Fiquainville, près de Valmont.
La Révolution fit de lui le secrétaire de la mairie de Bec-de-Mortagne, puis de la “Ligue populaire de Fécamp” : cette fonction lui fit connaitre l’ex-abbé Tessier, le grand astronome devenu médecin d’un hôpital de la Fraternité installé dans le couvent des Annonciades de Fécamp. Tessier le devina, l’adressa à Geoffroy Saint-Hilaire, et ce fut l’entrée de Cuvier au Muséum qu’il devait illustrer.

     Troisième Salle : C’est un “un salon” cauchois. Le premier panneau porte un très important envoi De M. R. Lecourt, peintre vigoureux, coloré de la vie rurale : il est encore un puissant aquarelliste.

     Plus souvent que la campagne, la côte fixe les artistes : M. Paul Morchain, lauréat notable du dernier salon, chérit Etretat, l’effort de ses pêcheurs autour des cabestans. M. René de Saint-Delis voit de façon toute différente, trop dure, ce même Etretat. C’est Yport qui a retenu M. Darien peintre à l’huile. M.P. Armand aquarelliste. M. G.-P. Diéterle, maitre de Criquebeuf-en-Caux est un maître paysagiste : sa “Valleuse” est une des plus sincères visions parmi la cinquantaine qui entourent le visiteur de cette exposition.
M. André Ballet est surtout le peintre franc, en très justes teintes plates du port de Fécamp. M. L. Launay , du Havre, fixe avec une même sincérité qui n’exclut pas la poésie de hautes murailles au faite sinueux que sont les hautes falaises. Il est aussi un impeccable dessinateur de figures. M. Georges Binet rend à merveille la polychromie des auvents sur les marchés de Dieppe et de Caudebec. De M. André Allard, le fils de l’historien regretté, un panorama aéré, harmonieux du quartier de l’abbaye de Fécamp. Sachons gré à M. Henri Leroux d’avoir évoqué le tisserand devant le vieux métier “à marhes” qui fit longtemps la fortune des campagnes cauchoises. M. Caniel, déjà rencontré comme architecte, transcrit aimablement les enclos ombreux des “masures”. M. Corpus leur prête des tonalités trop brutales.

     Ces mêmes fermes enchantent, lorsque les pommiers sont fleuris, les aquarellistes, M. H. Léveillard et Melle Y. Mariner : de cette dernière, à l’huile, un clocher de village qui n’est pas sans mérite.

     C’est le difficile paysage au pastel que pratique avec talent M. Alfred Desprez, sensible au charme vétuste des rues et des cours de Fécamp. Ces mêmes coins, c’est à la plume que les traitent, très différemment, mais tous avec fermeté et sentiment MM. H.-E. Burel, Martial Delamotte et Jacques Touzet. Enfin M. René Legros donna la primeur de planches d’une étude historique en préparation de reconstitutions du vieux-Marché clos de Fécamp, qui était pour l’Abbaye la source de recettes importantes.
Journal de Rouen du 27 juillet 1924 Archives départementales de Seine-Maritime - cote BMR 260_5