FÉCAMP-FESTIF - Les GRANDS ÉVÉNEMENTS
Page créée le 30 mars 2017

    
     Journal de Rouen : 23 février 1908
 

Autres inaugurations :


    C’était le cas hier d’appliquer le fameux dicton normand : “Quand y en a pu, y en a core ! C’est comme chez Léonore !” Après une inauguration, vite M. Maujan courait à une autre, mais si à chacune il constatait avec plaisir que sa corvée diminuait, son attaché de cabinet voyait, par contre s’accumuler dans ses bras les bouquets de fleurs, à un tel point qu’il se demandait où les fourrer !

    Comme on est en avance sur l’heure du programme – un cortège officiel en avance ! quel phénomène ! – on décide de montrer au sous-ministre les bassins du port et la digue maritime. Arrivé là, le cortège fait un crochet et gagne l’Ecole communale du port. C’est un vaste immeuble dont la façade est située sur la route des Quatre-Fermes, à l’intersection de la rue Gustave-Lambert, en face de l’ancienne école du Port, transformée aujourd’hui en école de filles.

     Dans la cour de l’établissement, sous la pluie battante et grelottants de froid, une centaine d’enfants, garçons et fillettes obéissant à la baguette de M. De Buissy directeur de l’Harmonie municipale, entonnent le chœur Patrie de Laurent de Rillé. Ce chœur est interminable et depuis longtemps le cortège officiel s’est groupé à l’abri d’un tendelet, qu’il dure encore qu’il dure toujours.

     Quand enfin la dernière mesure a été chantée, M. Duglé prend la parole pour prononcer son quatrième discours de la journée. Nous avouerons, mon dieu, qu’au milieu du brouhaha s’échappant des cinq où six cents bouches enfantines, et occupé que nous étions comme tout le monde à maintenir notre parapluie contre les violentes attaques de la rafale, nous ne pouvions rien entendre de ce nouveau speech, pas plus que du petit compliment adressé au sous-secrétaire d’État par le jeune Rodolphe Morisse, gentiment costumé, et que flanquent, les mains chargées de fleurs deux bambins, les petits Emile Richard et Guillame. 

     A un deuxième discours de M. Doliveux, M. Maujan répond par quelques paroles et dit son espoir de voir “rendre un jour obligatoire et gratuite l’instruction primaire supérieure”. Applaudissements ; visite rapide à travers une ou deux classes, et départ.

     - Où va-t-on ? demande quelqu’un. – Où voulez-vous aller autre part qu’à l’hospice, après une telle journée ! répond ironiquement une voix. – En route pour l’hospice. Le cortège traverse des rues où stoïques sous les averses, des gens stationnent pour voir passer des voitures fermées.


     Les agrandissements de l’hospice que va inaugurer M. Maujan sont de deux sortes : d’une part, on construira un bâtiment pour les contagieux ; de l’autre, un bâtiment pour les enfants. Le tout sera payé avec une somme de 100.000 francs, donnée par l’État sur les fonds du pari mutuel.


     Devant une pierre quadrangulaire posée au milieu d’une cour, M. Duglé, prononce son cinquième discours. M. Maujan, lui prend la parole pour la vingtième fois au moins, après quoi il jette une pelleté de ciment sur la pierre. Son geste est imité par une demi-douzaine de personnages officiels, au milieu des sourires et des plaisanteries de tout le monde.

     Le programme de la journée s’arrête là. M. Maujan a bien mérité de la République et il s’en va se reposer cinq minutes avant d’aller s’asseoir au banquet qui l’attend dans la salle du Val-aux-Clercs.

 

Le Banquet


     Nombreux sont les convives et rapidement on attaque les plats, car l’heure presse. M. Maujan doit reprendre à Beuzeville un rapide qui, par exception s’arrêtera pour le prendre. On met les bouchées doubles, ce qui n’empêche pas le service d’être bien fait.


     Au champagne, on toaste. M. le préfet boit à M. Fallières ; M. Duglé fait l’éloge de l’enseignement laïque, estiment que le gouvernement a le “devoir de relever le niveau intellectuel et moral du citoyen”.


     “C’est à l’intelligence, ajoute-t-il, à la capacité de tous les citoyens qu’il doit faire appel et non exciter leurs appétits.

Est-ce une leçon qu’a voulu donner à nos gouvernants le maire de Fécamp ?

M. Lemonnier, vice-président du Conseil général ; M. Lefort, député, y vont ensuite de leurs petits laïus, et finalement M. Maujan répond à tous. Il parle des lois qui ont organisé l’éducation populaire sur la triple base de la laïcité, l’obligation et la gratuité, lois qui constituent “la charte du régime scolaire”.


      M. Maujan parle ensuite, en des phrases creuses, de l’émancipation du travail “qui doit demeurer entièrement lié à la bonne gestion des intérêts nationaux, dont il est logiquement et nécessairement solidaire”. Puis il termine par un petit couplet en l’honneur de l’impôt sur le revenu, dont il faut poursuivre résolument, dit-il l’application.


      “Nous constituerons ainsi, ajoute-t-il, le budget de la démocratie qui, en même temps qu’il assurera entre tous les citoyens la répartition des charges publiques, nous procurera les ressources indispensables à l’élaboration des grandes revendications sociales !”

     Ayant ainsi parlé, M. Maujan boit un dernier verre d’eau, et au milieu des applaudissements, il gagne son automobile démocratique, qui disparait bientôt dans la nuit.


     Avec joie, il pense que sa journée est finie. Le plus terrible, c’est que dans huit jours il lui faudra recommencer sur un autre point du territoire. Tout n’est pas rose dans la vie d’un sous-secrétaire d’État à l’intérieur !

   Journal de Rouen du 23.03.1908 - Archives départementales de la Seine-Maritime.