FÉCAMP-FESTIF  -  Les Bains de Mer
    Gravure : Lithographie aquarellée de Paul Lancel, vers 1865 (Musée de Fécamp)       
 Dernière mise à jour 06.02.2018
  
    3. Le Complexe passe aux mains des financiers.

     En 1863 L’établissement des Bains se retrouve dans les mains d’une société financière puissante, “Le Crédit Suisse”. Pourquoi la ville de Fécamp n’a-t-elle pas souhaité se charger elle-même des destinées de son établissement ?

     Œuvre créée, sur son sol, par des mains étrangères, elle a souhaité la laisser à jamais à des mains étrangères.

Et pourtant, à l’expiration du bail de faillite consenti au docteur Bécourt, tout était favorable à une prise de possession de sa part. Mais elle ne s’est sentie ni l’audace ni les forces nécessaires à pareille tâche.
 

     L’exemple de Dieppe se faisant en quelques années, un revenu net d’au moins 50 000 frs. ne l’a point tentée. Cette richesse du pays, elle se contentera d’en prendre sa petite part si elle prospère ; mais si une destinée funeste fait tomber tout ce beau rêve, elle se bornera à lever les bras au ciel et à pousser de grands cris.

      Le nouveau propriétaire, peut tout faire pour cet établissement, mais il a peur lui aussi, le cauchemar de certaines spéculations parisiennes lui revient sans cesse à l’esprit. Ce qui explique qu’elle a bien de la peine à laisser ouvrir le casino et à le confier à M. E. Nathan, pour y donner des concerts. M. Nathan violoncelliste de son état est Propriétaire-Directeur de l’Établissement de Bains de Mer d’Yport, il souhaite dans l’avenir compléter ses installations par l’ouverture d’un casino.

Louis Nicolle, dans La plage Normande du 29 septembre 1864 - collection J.-P. Durand-Chédru
 

      Cette saison 1863, ne restera pas on s’en doute, dans les Annales, les nouveaux propriétaires doivent se ressaisir ! et c’est avec satisfaction, que Louis Nicolle constate et écrit dans La Plage Normande au début de la saison suivante - 1864 :
 

      Fécamp, son Casino, on en a chanté cent fois les merveilles. Inutile de briser nos poumons à sonner, dans la trompette de la réclame, ses ingénieuses constructions, dans le goût oriental, jetées au bord d’une plage pittoresque et léchées par la vague.  

      Cette année, la Société du Crédit Suisse s’est enhardie un peu. Elle a badigeonné tout à neuf son établissement qui, ainsi remaquillé, fait merveille au bas de la falaise blanche, l’ensemble avec Hôtels, Restaurant, Chalets, a pris, grâce ces intelligents travaux de restauration, une physionomie nouvelle et ressemble, de la rade, à une cité mauresque.

      Puis elle a ouvert à son compte les hôtels, restaurants et chalets, avec une excellente direction, faisant là, on le voit, quelques pas de plus. Mais ce maudit cauchemar (évoqué précédemment) était toujours là, qui l’empêchait d’aller jusqu’au bout. C'est alors qu'elle a chargé l’artiste de 1863 d’être le directeur du Casino pour son compte en 1864.

 Louis Nicolle, dans La plage Normande de 1864 - collection J.-P. Durand-Chédru
 

       M. Nathan nous promet un orchestre brillant, sous la direction de M. Dugard, ainsi qu’une troupe lyrique, composée de MM. E. Martin, du théâtre lyrique, Geraizer, de Bruxelles, Joyeux de la Haye, de Garron de Lyon ; Mmes Geraizer, de Bruxelles, Meyer, Matilde la Fourcade, des Bouffes.

     En attendant, nos sociétés musicales de Fécamp, qui forment deux nombreuses phalanges d’orphéonistes, font de leur mieux pour nous faire attendre patiemment cet orchestre et cette troupe.

Louis Nicolle, dans La Plage Normande du 30 juin 1864 - collection J.-P. Durand-Chédru

     Les débuts de l’orchestre, et de la troupe lyrique sont annoncés pour le 14 juillet, à l’affiche, les Noces de Jeannette et le 66. L’accueil du public est plutôt “reservé” qu’on en juge :
 

     L’orchestre a donc pris jeudi, jour d’anniversaire de la prise de la Bastille, possession du casino. Ce jour-là, le soleil était splendide, comme il est heureusement demeuré depuis.

     Aussi, il y avait réunion nombreuse sur la terrasse. Le soir, il y avait aussi un auditoire bien garni dans le salon des fêtes, où apparaissaient pour la première fois dans les Noces de Jeannette et dans le 66, les artistes lyriques engagés par la direction.

     Le début de la troupe lyrique a été plus brillant que celui de l’orchestre, encore incomplet et composé d’éléments jusque-là inconnus les uns des autres.

Louis Nicolle, dans La Plage Normande du 21 juillet 1864 - collection J.-P. Durand-Chédru
 

     D’autres critiques, sont formulées, elles portent essentiellement sur la salle qui ne semble pas adaptée (ni prévue), pour des représentations lyriques :

     Eh bien ! nous dirons que la manière dont on a divisé la salle le jour de la représentation théâtrale, était tout à fait malheureuse et a choqué les trois quarts des assistants.
     Il y a certaines susceptibilités qu’il faut savoir ménager. – Vous avez beau faire, vous ne pouvez changer la nature même des choses. Votre salle est de plein pied et toutes les distinctions que vous pourrez faire arriveront au même résultat : à mécontenter vingt personnes pour la satisfaction d’une ou deux.
     Car, sachez-le bien, votre barrière ou plutôt votre parc, - j’ai retenu cette qualification et elle m’a paru heureuse, - n’ont pas été respectés. Telle dame, tel monsieur n’avait pas de billet de premières et a bien su, avec un aplomb que j’admire toujours, y asseoir sa bruyante personnalité, tandis que les simples sont restés sur les bancs séparés et en dehors du parc.

     Revenez vite aux places réservées, c’est tout ce qu’il est possible de faire … et encore ! Ayez une certaine grandeur, une certaine générosité avec le public, le public vous le rendra au centuple......

“Ariste”, dans La Plage Normande du 21 juillet 1864 - collection J.-P. Durand-Chédru

 

     Ces commentaires n’empêchent, heureusement, nullement de peaufiner le programme de la saison :
 

     La troupe lyrique met à l’étude en ce moment, nous assure-t-on, les opérettes et opéras comiques suivant : Les Charmeurs, La Cigale et la Fourmi, Le rendez-vous Bourgeois, Galatée, Le Sourd, Le Violoneux, Le Duel de Benjamin.

    Lundi prochain, 15 août, M. Nathan offre aux habitants de Fécamp une grande fête populaire du jour et du soir : le jour – concert avec chansonnettes, Mât de Cocagne, Courses en sac et au canard, Ballons grotesques ; le soir, - Représentations théâtrales composée de : Un mari dans du Coton, les sabots de la marquise, Lischen et Fritzchen ; entre les deux premières pièces, Feu d’artifice et Flammes de Bengale. Un cachet de 1 fr. donnera droit à toute la fête du jour et du soir. L’invasion du Casino sera complète ce jour-là. Rome ne sera plus dans Rome. Fécamp tout entier tiendra dans son Casino, assez vaste du reste, pour contenir la foule des envahisseurs.

Louis Nicolle, La Plage Normande du 11 août 1864. Collection J.-P. Durand-Chédru

 

     À la fin du mois de septembre, le 22, La plage Normande se fait l’écho d’un article paru dans un journal des théâtres, la Comédie, sous la rubrique Fécamp, nous en retenons un extrait :
 

     Fécamp, ou plutôt E. Nathan, a reçu et vu passer une pléiade d’écrivains et d’artistes : G. Sand, A. Houssaye, Th. Gauthier, Pradier, Victor Borie, Ernest d’Hervilly ; hier Offenbach promenait sur la terrasse son lorgnon, sa décoration, sa nombreuse famille et son génie : à l’heure où je t’écris, j’aperçois de mon pavillon, Alexandre Dumas fils nonchalamment couché sur le galet et jouant avec un charmant petit baby rose et blanc qui le houspille sans façon…..

Gaston-Robert de Salles, dans La Plage Normande du jeudi 22 septembre 1864 - collection J.-P. Durand-Chédru

 

     Le chroniqueur local, Louis Nicolle nous procure la conclusion pour cette année administrée par M. Nathan :

 

     L’artiste, qui est prudent en fait de finances, s’est dit qu’il n’avait la chose à faire que pour une année. Il s’est contenté d’une petite initiative bien calme et de petites fêtes qui n’avaient rien d’exceptionnel.

     Nous avouons franchement que, sans trop jeter la pierre à l’imprésario de sa réserve caractéristique dans une navigation qui lui était étrangère, nous avouons que le casino de Fécamp nous semble demander une exploitation plus large, plus brillante.

    Mais pour cela il faut que cette exploitation vienne de ses propriétaires, de ceux qui ont intérêt à sa prospérité, à son avenir.

Il faut savoir semer une année pour recueillir les suivantes, et celui qui pourra semer sans crainte, c’est celui qui sera sûr de mettre en ses propres greniers la moisson dorée quand elle aura muri au soleil.
 

     L’établissement de Fécamp ne souffre donc pas d’exploitation partielle. Il n’y a là qu’un seul et même intérêt, il faut donc qu’il y ait qu’une seule et même tête pour diriger, qu’une seule et même main pour recueillir. De cette façon, vous ne serez pas exposés aux orchestres au rabais et aux artistes de pacotille, et vos baigneurs n’auront point à souffrir des mesquineries des spéculateurs malhabiles.

     Vous pourrez, si vous voulez comprendre enfin la valeur de votre immeuble, attirer par l’annonce des fêtes de votre Casino et du confort de vos hôtels, la foule capricieuse des baigneurs.

      Vous pourrez, en tenant consciencieusement vos promesses, en faisant de votre Casino un séjour enchanteur, retenir longtemps chez vous le monde élégant, et vous aurez ainsi assuré l’avenir de la plage de Fécamp.

Louis Nicolle, dans La Plage Normande du 20 septembre 1864 - collection J.-P. Durand-Chédru