FÉCAMP-FESTIF La Saison du Casino
Image extraite de l'affiche : Bains de mer de Fécamp de Charles Levy - Gallica site de la B.N.F.
 Page créée le 29 juin 2016 - Mise à jour le 9 octobre 2016
 
     4. Les Commentaires

     La saison théâtrale au Casino de Fécamp s’est ouverte mardi soir par une première représentation du Jour et la Nuit. Disons-le pour commencer : la troupe de M. Lejolivet nous apparaît formée d’éléments aussi satisfaisants qu’on peut les désirer ; les premiers sujets sont des plus “select” ; nous voulons dire : Mmes Lamy-Cordier, 1e chanteuse ; Desjardins 2e chanteuse, MM. Duc, 1er ténor, Talier 1er baryton, et Pallion, 1er grand comique, à qui nous renouvelons ici les bravos qui ne leur ont pas manqué pour ce début.

      Mme Lamy-Cordier, Manola, possède une voix fort agréable et qu’elle conduit avec talent ; elle nous en a donné plus qu’une preuve avant-hier soir ; longue serait la nomenclature des passages où elle a, grâce à son art, entraîné les applaudissements du public ; citons seulement l’air de la charmeuse, au 2e acte, et, au 3e, l’air du “Jour et la nuit”. Nous croyons bien n’avoir jamais que des compliments à adresser à cette (à tous points de vue) charmante artiste.

      Mlle Desjardins (rôle de Béatrix) nous paraît surtout habile musicienne. Cette qualité se marie à une habitude consommée de la scène. En un mot, elle se trouve là, “chez elle” et semble mettre en pratique cette maxime, en usage fréquent chez les artistes, que, pour bien jouer, il faut savoir d’abord se…. moquer du public. Mlle Desjardins (ou bien nous nous tromperions) connaît la recette et l’applique. Elle a un air de…, je ne vous dis que ça. Pourvu qu’elle ne pousse pas à l’exagération cette spécialité de son talent, nous ne lui crierons jamais que : bravo !

      Jolie voix de ténor, M. Duc-Miguel ; attendons-le dans les “soli”. M. Talier-Brasero n’avait pas, comme son camarade précité, la matière suffisante pour nous détailler les ressources de son art ; il nous faut, pour le bien juger aussi, un rôle plus ample, plus sérieux. Par exemple M. Paillion-Calabazas a débuté par un rôle qu’on peut classer dans la catégorie des rôles corsés, et M. Pallion nous a démontré qu’on peut, avec lui, se faire du bon sang.

      M. Drousic, Don Dégomez, s’est hilarement tiré aussi de son rôle mimique. Encore faut-il pourtant ne pas trop charger M. Drousic.

Un peu faible les chœurs, mais il ne faut pas être trop exigeant : et nous ne voulons pas l’être, si nous ne rendions pas à M. Lejolivet la justice qui lui est due, en constatant la plus que satisfaisante composition de son personnel.

      L’orchestre, où peut-être il y a des “trous” (mais c’est comme pour les chœurs, trop d’exigence ne doit pas être) – l’orchestre s’est bien tiré de sa tâche, sous l’énergique direction, du reste de son 1er chef, M. Duval.

       En somme, cette première soirée théâtrale promet beaucoup pour les suivantes. Il n’y avait qu’une demi-salle, et même pas, pour ces débuts, mais la faute en est surtout au temps pluvieux (quelle trempette, mes enfants, à la sortie !) Les absents, renseignés par les vaillants de l’avant-dernier soir avoueront, ce soir même, qu’ils ont eu tort.    

       Ce soir : La Fille de Mme Angot. Great attraction !

La Plage Normande illustrée n°10 - 18 juillet 1889   


  

       Malgré une programmation, qui donne la plus grande part à l'œuvre de Charles Lecoq, le public se fait encore “tirer l'oreille” jusqu'à....

     .... Le public commence-t-il à trouver que les soirées du Casino, ne méritent pas tout à fait l'indifférence qui a marqué les débuts de saison ? Toujours est-il que, plus ça va et...mieux ça va pour la direction, qui enfin doit s'apercevoir, aux recettes plus fructueuses, sinon encore fort brillantes que les bons efforts sont toujours récompensés.

      Dimanche soir, le Cœur et la Main a fait une assez belle chambrée ; c'est devant deux bons tiers de salle que MM. Paillon, Duc, Talier, Drousic et Mmes Lamy, Cordier et Desjardins ont interprété la jolie partition de Lecoq......

La Plage Normande illustrée n°14 - 1er août 1889   

      La fête de nuit de dimanche soir, à l'occasion de l'inauguration des nouvelles écoles et du nouveau service d'eau, a beaucoup nui à la seconde représentation de La Boule qui a été jouée devant un petit noyau de fidèles. L'excellente interprétation de la pièce de MM. Meilhac et Halévy a valu néanmoins à la troupe de M. Lejolivet une large part de bravos. Avant-hier mardi, encore une seconde : le Cœur et la Main, dont le succès a été le même qu'à la première.

La Plage Normande illustrée n°16 - 8 août 1889   

      Bonne et belle soirée, à tous égards, hier jeudi, au Casino, et par l’affluence du public, et par l’interprétation du Petit Duc, qui tenait la scène. Mme Lamy-Cordier, dans le rôle du Petit Duc, a bien gagné les bravos de son auditoire, dont elle a conquis la sympathie dès le premier jour par ses excellentes qualités lyriques. Dans celui de Frimousse, M. Paillon n’a pas eu de mal à soutenir le rire ; et M. Talier, Monlandry, s’est tiré de sa tâche avec son talent habituel.

       Nous assistons aux débuts d’une nouvelle seconde chanteuse, Mlle Stéphanie, à qui était échu le rôle de la Duchesse, et qui possède une voix douce… sa meilleure qualité. Le “second plan” a été satisfaisant et l’orchestre a eu aussi sa part d’applaudissements.

       En somme, je le répète, bonne soirée, et on ne peut que souhaiter à M. Lejolivet, qui d’ailleurs le mérite, pareil succès jusqu’à la fin déjà si proche !

 La Plage Normande illustrée n°20 - 25 août 1889     

 

       Et pourtant, tout ne va pas pour le mieux, dans le meilleur des mondes, l'ambiance va se dégrader !
 

      Le Casino municipal a été, dimanche, le théâtre d’un incident regrettable qui a mis en révolution le public, d’ordinaire bienveillant et calme de cet établissement. Voici l’incident en quelques mots.

      Les affiches apposées en ville avaient annoncé, quelques jours à l’avance, comme à l’usage, qu’on jouerait, ce soir-là, La grande Duchesse de Gerolstein ; mais samedi, l’administration, par une annonce annulant la première, nous parvenait que l’Opéra d’Offenbach serait remplacé par un drame. Les Crochets du Père Martin. Ce changement était dû à la résiliation subite de l’engagement de la première chanteuse, Mme Lamy-Cordier. D’où, colère des habitués et, dimanche soir, dès le lever du rideau, murmures, protestations, effroyable tumulte ! Le régisseur réclamé alors, vint à la rampe ; mais invité à s’expliquer sur les motifs du départ de Mme Lamy-Cordier (qui avait comme on sait gagné la sympathie générale), il se retrancha derrière des raisons d’administration – et s’esquiva. Il fallut – non sans qu’on protestât vivement – se contenter de cette explication ;… qui n’en était pas une. Et, tant bien que mal devant ce public de mécontents, la représentation s’acheva.

       Depuis dimanche, nous avons, comme il fallait bien nous y attendre, été assaillis de réclamations. On nous demande de protester publiquement contre cet état de choses et de demander à M. Lejolivet qu’il donne toute satisfaction aux abonnés de son établissement en s’expliquant sans détours par la voie des journaux. Quant à prendre parti dans l’affaire, tout en reconnaissant la légitimité des réclamations qui sont faites, nous voulons préserver jusqu’à nouvel ordre notre avis. Mais nous ne pouvons faire autrement que de complaire aux réclamants, c’est-à-dire à la grande majorité du public, en prévenant M. Lejolivet que nos colonnes lui sont dès à présent ouvertes.

       La question est donc celle-ci : Qu’est-ce qui a motivé le renvoi subit de Mme Lamy-Cordier ?

      Encore une fois, c’est le public, non pas nous personnellement qui la posons ; car nous n’avons assurément aucun motif d’animosité contre M. Lejolivet.  

       Demain, vendredi 30 août, à huit heures et demie, représentation extraordinaire, organisée par le bureau de bienfaisance de Fécamp et sous le patronage de l’administration municipale, avec le concours de Mlle Marguerite Lion, 1re chanteuse légère ; M. Mauguière 1er ténor de l’Opéra-Comique ; des artistes de l’orchestre du Casino, sous la direction de M. Eugène Lejolivet. Pour cette fois seulement : La Traviata, opéra-comique en 4 actes (traduit de l’italien), musique de Verdi. Une quête sera faite à l’entrée par Mmes Imbert et Adolphe Handisyde, auxquelles on peut faire parvenir ses offrandes.

 La Plage Normande illustrée n°21 - 29 août 1889 

 

        Il n’est que la “bienfaisance” pour “faire bien” : cette vérité a encore eu son application hier vendredi, à l’occasion de la représentation organisée au bénéfice des Pauvres, par le Bureau de Bienfaisance de notre ville. Les billets avaient été placés rapidement, et c’est devant une jolie salle que s’est jouée l’opéra-comique du maestro Verdi, La Traviata.

       Le succès de Mlle Perdrelli, dans le rôle de Violetta, a été aussi beau que le pouvait le désirer cette excellente artiste ; il faut féliciter les organisateurs de cette représentation d’avoir eu la main si heureuse ; on ne pouvait mieux remplacer la sympathique chanteuse que des raisons “ignorées” ont forcé M. Lejolivet à remercier du jour au lendemain. Bonne recrue aussi que celle de M. Mauguière pour le rôle de Rodolphe d’Orbel. Cet artiste, comme sa camarade précitée, a recueilli une large provision de bravos. Les autres rôles avaient été distribués entre Mmes Stéphanie, Drousic et MM. Duc, Talier, etc., de la troupe ordinaire du Casino. Ceux-ci se sont tirés aussi bien que possible de leur tâche. Il a fallu malheureusement, pour quelques-uns, faire des coupures – et, comme toujours, c’est bien ennuyeux, les coupures. Malgré tout, cette soirée a laissé dans l’esprit du public la meilleure impression.

       La quête, faite par Mme Imbert, accompagnée de M. Le Borgne, maire, et par Mme Adolphe Handisyde, accompagnée de M. Avenel, adjoint, a produit 901 francs 10.

Pendant les entr’actes, avant-hier, on s’entretenait encore avec animation de l’incident regrettable qui a marqué la soirée de mardi dernier. On se montrait toujours irrité du renvoi immotivé de Mme Lamy-Cordier. Nous avons dit, cédant aux sollicitudes de nombreuses personnes, que nous étions prêts à accueillir les explications de M. Lejolivet, directeur du Casino de Fécamp. Il a jusqu’à présent gardé le silence, à notre égard du moins.

En attendant, enregistrons (sous toutes réserves aussi) cette explication donnée par le Journal de Fécamp, dans son numéro de mardi dernier :

La cause de la résiliation Lamy-Cordier serait due, nous dit-on (ceci sous toutes réserves), à une difficulté qui aurait surgi entre cette artiste et Mme Lejolivet (Elise Tauffenberger), lors de la distribution des rôles de Traviata, qui sera représentée vendredi prochain au Casino, au profit du bureau de Bienfaisance ; Mme Lejolivet et Mme Lamy-Cordier, voulant toutes deux remplir le rôle de Violetta.”

       Le résultat de cette querelle féminine (si querelle il y a eu) est, quoi qu’il en soit, à présent connu : c’est le troisième larron qui a enfourché l’âne.

La Plage Normande illustrée n°22 - 1er septembre 1889
    

      L’incident Lamy-Cordier préoccupe toujours l’opinion à Fécamp. À la suite des articles consacrés dans le Journal de Fécamp à cet incident évidemment regrettable, M. Lejolivet a adressé au directeur de ce journal, une lettre qui aurait pu, si nous en croyons celui-ci être dictée par une meilleure courtoisie. M. Lejolivet “le priait et au besoin le requérait” d’insérer sa lettre.

        Le Journal de Fécamp n’ayant pas obéi, nous avons le regret de ne pouvoir pas nous-même accorder l’hospitalité à la lettre directoriale. Toutefois, le Journal de Fécamp accorde à M. le directeur du Casino de Fécamp une “rectification” en ce qui touche les “on-dit” qu’il avait rapportés, en attribuant la “révocation” de Mme Lamy-Cordier à certain conflit féminin dont nous nous sommes nous-même fait l’écho, il n’y a là, protestait M. Lejolivet, absolument rien de vrai… Mystère et jupon !

       Dimanche matin, M. Lejolivet, pour en finir, convoquait quelques abonnés dans un “meeting” explicatif. Malgré cela, on n’a pas encore pu savoir pourquoi l’administration du casino s’était privée du jour au lendemain des services d’une artiste dont raffolait (c’est le mot) le public habitué de cet établissement. M. Lejolivet s’est borné, non sans avoir courbé la tête sous toutes sortes de récriminations, à promettre qu’il ferait les sacrifices nécessaires pour donner pleine satisfaction à ses abonnés d’ici la fin de la saison, au besoin en faisant venir de Paris, pour les dernières représentations, un personnel trié sur le volet…

        Tout sera bien qui finira bien. Et nous ne pouvons que souhaiter que cela finisse bien. Mlle Saint-Ange, qui a remplacé Mme Lamy-Cordier, a fait ses débuts jeudi dans la Fille de Mme Angot.  Citons seulement cette appréciation d’un confrère en critique :

        La scène avec Mlle Lange a été bien chantée. On ne pouvait demander à Mlle Saint-Ange de dire son couplet comme un cantique, puisqu’elle doit, à ce moment où elle est bien la fille de Mme Angot, “faire rougir un carabinier.” On a beau vouloir être indulgent ; mais l’indulgence de notre confrère ne nous laisse pas moins un peu rêveur. Le Petit Duc et le Châlet ont tenu successivement la scène, dimanche et mardi. Aujourd’hui jeudi, La Grande Duchesse de Gerolstein.

        On sait que c’est cette pièce, enlevée de l’affiche à cause du départ de Mme Lamy-Cordier, qui a été la source de la querelle existante. Si, ce soir, on applaudit Mlle Saint-Ange, dans le rôle de la Grande Duchesse, primitivement attribuée à Mme Lamy-Cordier, nous pourrons dire que la querelle est vidée : et, partisan de la bonne harmonie, nous souhaitons à Mlle Saint-Ange qu’on l’applaudisse.

La Plage Normande illustrée n°23 - 5 septembre 1889
 
 

        Enfin, la voilà jouée, la Grande Duchesse de Gerolstein ! – Bien jouée ? Mal jouée ?  “ah ! bédame !...” Si je dis “bien”, j’en sais qui m’arrache les yeux d’indignation, et si, au contraire, je dis “mal”, d’autres prétendront que c’est du parti pris.

Je préfère rester neutre et, tout bonnement, vous reproduire les deux avis, pour et contre, qu’au passage j’ai saisis et notés, en circulant jeudi soir, à travers les groupes, au “foyer”.

        Voici : On disait, d’un côté, que M. Lejolivet n’avait pas eu la main, en somme, trop malheureuse, avec Mlle Saint-Ange qui remplace Mme Lamy-Cordier ; que celle-ci, c’est incontestable chantait mieux, mais que… bref, on pouvait être, sans paraître trop bienveillant, “mademoisellesaintangiste”.

D’un autre côté – oui mais voilà, la franchise me force à dire que c’est du côté du plus grand nombre – on disait que c’était…(je sous-entends toutes les expressions) … que jamais le Casino de Fécamp n’avait vu pareille…(je sous-entends toujours) :… bref, de ce côté-là, on était très mécontent : sans cris, sans murmures pourtant ; les mécontents ayant pris la résolution évidemment sage de protester jusqu’au bout par une froideur et un calme imperturbables.

        Oui, et c’est bien fâcheux pour un directeur de Casino de Fécamp, les “antimademoisellesaintangiste” (ouf) forment la majorité.

        Qu’on se dispense de nous demander notre avis personnel ; c’est trop dangereux, on s’attire avec cela trop de désagrément. Abstention : c’est notre dernier mot.

La Plage Normande illustrée n°24 - 8 septembre 1889  

 

       Et pour conclure : Le Casino de Fécamp a clôturé, dimanche soir, sa saison théâtrale par la Traviata avec des artistes spécialement engagés pour cette dernière soirée.
 

       À propos des “Cancans de Fécamp” : Nous ne parlerons point, et ce sera plus sage, des dernières représentations, au point de vue “artistique”. Notons seulement le “succès de curiosité” qu’a obtenu, -c’était inévitable, - la revue locale : les Cancans de Fécamp, écrite par un “habitant” qui, effrayé sans doute du “cancan” provoqué, dès le premier jour par son œuvre, a préféré garder l’incognito. MM. Pallion, Duc, Talier, Raimbaut, Thaurès, Dermilly, Drousic, Duval, Rachel, Beaucheron, etc., avaient été chargés et se sont tirés, chacun selon ses moyens, des rôles multiples de cette bouffonnerie, qui n’a pas eu justement que des partisans.

La Plage Normande illustrée n°26 - 15 septembre 1889

Les numéros de La plage Normande Illustrée cités en référence, sont issus d'une collection,
aimablement mise à notre disposition par J.-P. Durand-Chédru.

 

      
 

 
 
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