FÉCAMP-FESTIF - La FÊTE DANS LA RUE
Dernière mise à jour le 26 janvier 2015

    Journal de Rouen : 20 août 1867

CONCOURS ORPHÉONIQUE DE FÉCAMP DU 18 AOUT 1867
 

      Le mouvement musical qui s’opère depuis quelques temps à Paris et dans toute la France, avec tant d’entraînement et de continuité, se fait sentir même dans cette belle Normandie, qui, d’ordinaire, ne s’émeut pas facilement, mais qui lorsqu’elle s’émeut, s’émeut bien et pour longtemps. Aujourd’hui, la musique chorale est répandue dans toutes nos contées normandes. C’est Rouen qui, dans son rôle de capitale de l’antique province, devait et a donné l’exemple ; mais il faut avouer que l’exemple a été dépassé par les imitateurs.
 

     L’Orphéon de Rouen, qui avait eu de si brillants débuts, et dont la bannière était ornée de nombreuses médailles d’or et d’argent, et toutes d’honneur vaillamment conquises par l’Orphéon de Rouen, avait excité l’ardeur et l’émulation de la jeunesse normande et la race des trouvères normands semblait devoir renaître, non plus aux accents de la poésie lyrique, avec les ballades et les romances du moyen-âge, mais dans les conditions civilisatrices du dix-neuvième siècle : avec les chants mâles et moralisateurs de cette musique chorale qui fait de tous ses adeptes les frères unis d’une même et grande famille.
 

     L’Orphéon de Rouen se repose aujourd’hui sur ses lauriers ; il est muet. Mais d’autres ont pris sa place et continué ses concerts. Une nouvelle société chorale, qui s’était formée à côté de lui, avait voulu le suivre dans les luttes pacifiques des concours orphéoniques. On a pu craindre un instant qu’elle se laissât gagner par le sommeil de sa rivale ; mais c’eût été mentir au nom qu’elle s’était donné, de Société de la Renaissance. Aussi n’a-t-elle pas manqué à ce nom qui l’oblige et dont elle doit être fière : La renaissance ne dort jamais ; elle doit être toujours à l’œuvre. C’est par un brillant succès que cette société vient de donner signe de vie : elle est allée prendre part au grand concours international organisé par M. Vaudin, directeur de la France chorale, et c’est avec une médaille d’or qu’elle revenue victorieusement au milieu de ses compatriotes. Espérons que la société de la Renaissance, dirigée par M. Weirig, redoublera de zèle et de ferveur musicale, pour maintenir l’œuvre chorale à Rouen, et en assurer la propagation dans la population rouennaise, qui lui devra les jouissances musicales d’une harmonieuse fraternité, et le développement moral des plus généreux instincts.
 

     Pendant que nous faisons des vœux pour que l’institution orphéonique soit sauvegardée à Rouen, nous la voyons en pleine prospérité dans les villes et même dans les modestes communes du département et de toute la contrée. Elbeuf a deux sociétés orphéoniques, dont une, la Société chorale dirigée par M. Gruel, vient d’obtenir aussi une médaille d’or au concours international de paris dans les conditions les plus honorables. La Cécilienne, de Duclair, au même concours international de musiques d’harmonie et de fanfares à Paris a remporté sur vingt-six sociétés concurrentes un deuxième prix et une médaille de vermeil.
 

    Un grand concours orphéonique a eu lieu à Rouen il y a quelques années. Cette belle fête n’a pas été renouvelée. Depuis cette époque, la ville de Caen en a eu plusieurs, la ville de Saint-Lô en a organisé à son tour, et voici la ville de Fécamp qui vient de donner une fête magnifique à l’occasion d’un grand concours d’orphéon et de musiques d’harmonies et fanfares.

     Rien n’a manqué à cette fête : la veille à neuf heures et demie du soir, une retraite aux flambeaux a été exécutée par les sociétés musicales de la ville de Fécamp, et à dix heures du soir, un grand bal avait réuni une nombreuse et brillante société. Avant-hier dimanche, à midi les 44 sociétés concurrentes étaient réunies sur la place de l’Hôtel-de-Ville, et le grand défilé a commencé.
Le cortège a parcouru : les rues du Bail, du Vieux-Marché, aux Juifs, des Corderies, le quai Vicomté, le pont, le Grand quai, la rue Sous-Bois, le pont Gayant, jusqu’à la gare de chemin de fer, d’où, après avoir reçu M. le sous-préfet du Havre, la phalange orphéonique est revenue par le quai le quai Bérigny, à la route d’Etretat ; là, toutes les sociétés se sont groupées séparément pour se rendre aux lieux désignés pour les concerts : les sociétés chorales au Casino et les sociétés instrumentales dans l’enceinte du marché.

 

     À deux heures et demie, le concours des orphéons a commencé. Le jury était ainsi composé :
 

    Président : M. Georges Hainl, premier chef d’orchestre de l’Opéra, premier chef d’orchestre et vice-président de la société des Concerts du Conservatoire de Paris. – Membres : MM. Adolphe de Grooh, chef d’orchestre du théâtre du Vaudeville (Paris) Amédée Méreaux, compositeur de musique (Rouen)
 

     Après les délibérations des jurys, la distribution des médailles, dont nous venons de donner les détails, a eu lieu au Casino même, en présence d’une foule immense, qui, autour des sociétés chorales et instrumentales rangées par ordre et bannières en tête, couvrait comme d’un flot humain, la belle plage de Fécamp, au majestueux murmure d’une mer calme et argentée.
 

     M. le sous-préfet du Havre, qui était venu patronner de sa présence cette fête musicale et populaire, a présidé cette distribution,

et a remis les médailles aux vainqueurs, en trouvant toujours une parole bienveillante à leur adresser.

M. le sous-préfet avait ouvert cette intéressante séance par une courte allocution, dans laquelle il avait retracé les bienfaits de l’institution orphéonique ainsi que les progrès qu’elle fait chaque jour et que provoque sans cesse la haute sollicitude du gouvernement. Cette allocution pleine de cordialité a été accueillie par d’unanimes acclamations.
 

     M. Corneille, premier adjoint, remplissant les fonctions de maire de la ville de Fécamp, a prononcé ensuite quelques paroles bien pensées et chaleureusement exprimées, qui ont de nouveau fait retentir la place des vifs applaudissements des sociétés orphéoniques et de la foule qui les environnait.
 

     Cette fête avait été organisée avec autant de zèle que de goût et de compétence artistique, par M. Hartmann, jeune artiste, d’un vrai talent et qui, fixé depuis quelques années à Fécamp, dirige la société orphéonique de cette ville. Il a droit aux plus sincères félicitations.
Comme toujours, cette journée, si belle pour les orphéons et fanfares, a fini au milieu d’une joie générale, qui avait transformé, pour quelques heures, la paisible ville de Fécamp en un séjour de mouvement et de plaisir. C’est là le privilège de ces sociétés musicales ; partout elles apportent avec elles l’animation artistique et la vie sympathiquement partagée : leurs victoires comme leurs luttes sont toujours pacifiques et fraternelles.

Nous terminons en disant que le concours orphéonique de Fécamp offre la preuve d’un progrès réel dans l’étude de la musique chorale : il n’y a pas eu d’exécution mauvaise, et quelques sociétés, celles de la première section de la deuxième division et celles de la division supérieure, ont été écoutées avec autant d’intérêt que de plaisir et applaudies avec enthousiasme.

 
                                                                                                                      Amédée MÉREAUX    
 
Journal de Rouen 20 août 1867  - Archives départementales de Seine-Maritime - cote : JPL 3_154

 
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