FÉCAMP-FESTIF - Les GRANDS ÉVÉNEMENTS
Dernière mise à jour le 15 mars 2017



    Journal de Rouen : 13 août 1895

Voyage du Président FÉLIX FAURE les 11 et 12 août 1895

     Accomplissant une promesse à laquelle nos vaillantes populations attachaient beaucoup de prix, le chef de l’État s’est rendu hier à Fécamp et à Dieppe. Le temps a favorisé tout au moins la première partie de ce voyage, et le soleil brillait lorsque le train présidentiel, parti du Havre à huit heures, est entré dans la gare de Fécamp.

     À FECAMP (De notre envoyé spécial) :

     La gare était décorée avec un goût très remarqué ; des tentures piquées de drapeaux et des arbustes encadraient le salon où attendaient les autorités. Étaient présents : M. A Le Borgne, maire avec ses adjoints, MM Avenel et Lefebvre, et les membres du Conseil municipal ; Ernest Delaunay, député de la circonscription ; Salmon, sous-préfet du Hâvre ; Bellet, président de la Chambre de Commerce, et Duboc, vice-président ; Diéterle, conseiller d’arrondissement ; Chancerel, président du Tribunal de commerce ; Cossin de Perceval, ingénieur, et les officiers de gendarmerie et des douanes.

 

     Il était neuf heures exactement, lorsque le train présidentiel s’est arrêté devant la gare. Les cloches des églises sonnaient à toute volée, et l’on entendait le bruit des salves d’artillerie. M. Félix Faure descend de son wagon-salon. Il est en tenue de ville, la canne à la main, sans aucun signe de sa dignité. Il est suivi de M. Hendlé, préfet de la Seine-Inférieure ; de deux officiers de sa maison militaire : MM le colonel Ménétrez et le capitaine de la Mothe ; M. Brindeau, député du Havre ; M. Berge, conseiller général, gendre du président, et un ingénieur de la Compagnie de l’Ouest.

La compagnie des sapeurs-pompiers porte les armes ; les clairons sonnent aux champs. Deux enfants offrent gentiment des bouquets à M. Félix Faure ; ce sont Melle Delaunay, fille du député, et le jeune fils du président de la Chambre de commerce. Et aussitôt, le maire souhaite la bienvenue au président de la République, en ces termes :

 

     “Monsieur le Président,
 

     “J’ai l’honneur de vous présenter le conseil municipal de la ville de Fécamp. Vous avez exprimé le désir, monsieur le Président, que votre visite eût un caractère intime. Tout en regrettant de ne pouvoir manifester notre allégresse aussi complétement que d’autres villes l’ont pu faire, nous ne pouvons-nous empêcher d’être touchés de la marque particulière d’amitié que vous nous donnez et nous vous en remercions du fond du cœur. Ce seront des hommages du cœur et aucune volonté, fût-ce la nôtre, ne pourra les arrêter.”
 

     M. Félix Faure remercie. Il n’a pas oublié qu’il a représenté les intérêts de la circonscription, et il est heureux de revenir dans une ville dont il connait les sentiments républicains et patriotiques. Ce disant, il serre la main du maire et des autorités présentes ; en tous il retrouve des amis. M. Félix Faure sort de la gare, la foule l’acclame chaleureusement. Il prend place dans sa voiture avec M. Le Borgne, M. Delaunay et le colonel Ménétrez. Le reste du cortège, une dizaine de voitures, se forme pour se rendre à l’Hôtel-de-ville, la société musicale Les Enfants de Fécamp, joue la Marseillaise
 

     Les manifestations qui ont déjà éclaté à la gare se poursuivent sur le parcours. La ville est pavoisée ; elle s’est mise en frais pour recevoir dignement le président. Il n’y a pas moins de dix-huit arcs de triomphe. En voici un qui se rencontre à l’entrée du quai Sous-le-Bois ; il est l’hommage de la caisse d’épargne de Fécamp, dont le joli immeuble se trouve là tout près. En voici un second, au bout du pont du sas éclusé. C’est le comité de la petite pêche qui l’a érigé ; un pittoresque entassement de barils, d’engins de pêche, d’ancres etc. La foule est plus dense au pied de ces arcs ; et les cris : « Vive Félix Faure ! » retentissent de tous côtés. De temps en temps, un groupe se détache pour offrir un bouquet au Président. Le comité de la petite pêche en présente un fort joli. A l’entrée de la rue Alexandre-Legros, encore un arc de triomphe, et de même à l’entrée de la rue Casimir-Périer ; il porte l’inscription :  Hommage des habitants au Président !  Sur ce point la Société Fraternelle, dont le président est M. Delaunay, forme une haie, avec les membres de la Société de Anciens Combattants, et ce sont de nouvelles acclamations.
 

     On arrive à la place de l’hôtel-de-Ville, où la population s’est massée. Les accents de la Marseillaise saluent le Président ; c’est l’Harmonie de la Bénédictine de Fécamp qui s’est portée au-devant de M. Félix Faure et joue l’air national, pendant que les ovations éclatent chaleureuses au possible On remarque aussi, à côté des sociétés, le groupe des enfants des écoles, qui tous ont un petit drapeau à la main, comme naguère ceux de Bolbec, et qui ne sont pas les moins joyeux d’acclamer le chef de l’Etat.
 

     L’entrée de la place est décorée d’un superbe arc de triomphe. Il ne mesure pas moins de 15 mètres de hauteur. Il est l’œuvre d’un artiste d’Yport, M Fourrier. Au fronton se détache un panneau représentant la République, dans un nimbe d’or, et tenant un rameau d’olivier, protégeant les travailleurs, symbolisés par un forgeron et une paysanne. Une décoration très artistique encadre ces figures allégoriques. L’ensemble fait honneur à l’artiste qui l’a exécuté, en collaboration avec MM Diéterle, Badin, Georges Desvalière, de Criquebeuf, Paul et Léon Laurens, d’Yport. La toile sera conservée au musée de Fécamp. Dans la cour de l’hôtel-de-Ville, les sociétés sont rentrées, avec les corporations et les corps constitués qui doivent être présentés. La belle salle des séances du conseil municipal, qui est ornée d’un grand portrait de M Félix Faure, est affectée aux réceptions.
 

      Les présentations, très rapides, ont lieu dans l’ordre suivant :

     Le président du tribunal de Commerce, - Le Conseil municipal – les Consuls, - Les membres du tribunal de Commerce, - M. Diéterle, conseiller d’arrondissement, - le Juge de Paix, - le président et les Membres du conseil de prud’hommes. Les Membres du clergé, - les membres de la Légion d’Honneur, - l’ingénieur des Ponts et Chaussées et son personnel – Les officiers de Sapeurs-pompiers – Le Commandant du cutter de l’Etat l’Eperlan et les officiers de Marine – les officiers de réserve et de territoriale – Les maires du canton de Fécamp – Les membres de la Délégation cantonale.
 

     Les Membres du Conseil d’hygiène – Les Membres de la Commission administrative du Bureau de bienfaisance – Les Membres de l’Hospice – Les directeurs de la caisse d’épargne – L’Administration des Contributions directes – le service des Douanes – le receveur de l’Enregistrement – L’Administration des Contributions indirectes – Le service des postes et Télégraphe – L’agent-voyer – Les instituteurs et institutrices – les services municipaux.    La Société Fraternelle – l’Union des ouvriers – La Caisse de secours aux Marins – la loge Maçonnique – Le Comité ouvrier Républicain. Le Comité des Armateurs à la grande Pêche – le Comité de la Petite Pêche – Le Syndicat des Négociants en liquides – la Société des Sauveteurs – la Société Centrale de Sauvetage – La Société des Enfants de Fécamp. La Société Bois-Rosé – Le cercle de la Jeunesse Républicaine – le Véloce-Club Fécampois – La Société la mouette – L’Association Colombophile Fécampoise – Le groupe des anciens Sous-officiers – la Société fraternelle des combattants de 1870-1871.
 

     À tous les discours qui lui ont été adressés, le président de la République a répondu par quelques paroles aimables, serrant la main aux personnes qu’il reconnaissait, visiblement touché des sympathies respectueuses qui se multipliaient autour de lui.
 

     Le président de la Chambre de commerce a rappelé en quelques mots ce que le port de Fécamp attend de l’Etat comme couronnement de ses travaux :

     Comme vous le voyez, Monsieur le Président, - a dit M. Bellet, - nous ne demandons pas au pays des sacrifices inutiles ; nous lui demandons, pour nos armateurs et nos marins, sur lesquels il peut compter aux jours de danger, que de leur donner les moyens de travailler pour arracher à la mer une partie de ses richesses et concourir, eux aussi, avec tous les industriels et les commerçants de notre circonscription, à la prospérité et à la grandeur de la France et de la République.
 

     M. Félix Faure répond :
 

     “Je connais depuis longtemps la chambre de commerce de Fécamp et je sais quels sont ses besoins. J’ai pleine confiance dans l’avenir du port de Fécamp et je souhaite que l’appel que vous faites à la sollicitude du gouvernement soit entendu. Je ferai part aux ministres des travaux publics et du commerce des améliorations nécessaires qu’exige le développement de votre port, et dont vous venez de m’exposer le programme.”
     Le président décerne alors des médailles d’honneur du travail à MM. :

     Gilbert, ex-chef de gare ; Clément Alfred, tonnelier chez M. F. Palfray, armateur ; Haigneré Edmond, ébéniste, Maison veuve Bocquain, marchande de meubles ; Prudhomme Paul, cordier, Maison Pascal Tougard ; Turgis Ernest tonnelier, maison F. Palfray ; Allain Frédéric, Gazé Charles et Allain Benjamin de la maison Constantin ; morisse Eugène jardinier, maison Lecanu-Louvel ; Mansois et Anthore.
Il fait ensuite chevaliers du Mérite Agricole :

 

 - M. Limare Charles père, constructeur-mécanicien à Fécamp.

 - M. Lange Clovis père, agriculteur et maire de Saint-Léonard.

 

    Il décerne les palmes académiques à M. Lefebvre Désiré, adjoint au maire de Fécamp. Les réceptions terminées, le Président s’est retiré un instant dans le cabinet du maire, où se trouvaient la fille de l’adjoint et son fiancé. Le mariage de ces jeunes gens devait avoir lieu hier et il a été ajourné en raison de la visite présidentielle. M. Faure s’est gracieusement excusé auprès d’eux d’avoir retardé leur union.
 

     De l’hôtel-de-Ville, le cortège s’est reformé pour gagner l’hôpital, où M. Félix Faure veut s’arrêter, comme il le fait dans toutes les villes qu’il visite. On rencontre de nouveaux arcs de triomphe. Il en est un sur la place des Halettes, qui est assez curieux : on l’a étagé de toutes sortes d’instruments de travail ; sa dédicace est d’ailleurs : « les travailleurs au Président de la République », on voit que c’est bien toute la population fécampoise qui s’associe aux honneurs rendus au chef de l’Etat.
 

     La visite de l’hospice dure une demi-heure environ. M. Felix Faure parcourt les salles, entouré des administrateurs de l’établissement. On lui présente la sœur supérieure, Mme Deneuve (sœur Saint-Pierre), qui compte cinquante années de services hospitaliers. Le Président lui remet une médaille d’or du ministère de l’intérieur, en la complimentant très gracieusement. Devant les lits, il s’arrête, s’informe, adresse aux malades quelques paroles bienveillantes ; et, dans cet asile de la souffrance, où se trouvent notamment quelques malades de la fièvre typhoïde, le cri de « vive Félix Faure ! » souvent répété dit combien on est touché de cette attention. Il faut noter encore un incident qui n’a eu pour témoins que les personnes de l’escorte du président. Comme M. Félix Faure, dans la cour, félicitait les sœurs de la Providence, une jeune novice, toute rougissante sous son voile blanc, s’est un peu avancée et tout bas, si bas que le président a dû se baisser pour l’entendre, lui a présenté cette requête :
 

    “Monsieur le Président, je désirerais prononcer mes vœux définitifs, mais le règlement m’en empêche parce que le nombre des sœurs régulières est limité. Je vous supplie de vouloir bien le faire augmenter pour que je sois admise.”
 

     Avec à-propos, le Président lui répond en souriant :
 

     “Ma chère enfant, le seul président de République de Fécamp, c’est le maire, et c’est à lui qu’il faut adresser votre requête. Toutefois, je le prierai de vous entendre, s’il lui est possible de réaliser vos espérances.”
 

     On va maintenant gagner le Casino. La foule est toujours empressée sur le passage du cortège. Rue de Giverville, un bouquet est offert au président par une gentille petite fille qu’il embrasse, aux applaudissements enthousiastes des spectateurs.
 

     Rue Arquaise, on passe sous trois arcs de triomphe. Place des Halettes, les dames de la halle présentent un bouquet. Plus loin, rue Jacques Huet, c’est l’arc de triomphe élevé par le syndicat des liquides ; Un décor très ingénieusement disposé, avec des barils pour piédestal. La rue Théagène-Boufart est un véritable dôme de verdure et de lanternes vénitiennes ; des masses de drapeaux flottent au vent. Un arc de triomphe arrête les regards : “ Hommage à Félix Faure ! Vive le Président !” Plus loin un autre portant l’inscription : “La Société Bénédictine à M. le Président !” est une ingénieuse réclame aux produits de l’usine de M. Le Grand ; la charpente est faite de caisses comme celles qui servent à expédier la célèbre liqueur. A l’extrémité de la rue, un joli portique se dresse : il porte l’inscription : “A la jeune France ! Vive Félix Faure !” au sommet, des enfants costumés en matelots forment un groupe et agitent des drapeaux.
 

     L’Harmonie de la Bénédictine et la Société les Enfants d’Yport se placent devant le cortège et jouent la Marseillaise. Sur le boulevard des bains, encore un arc de triomphe, hommage du Véloce-Club Fécampois ; au milieu des banderoles sont encadrées deux bicyclettes. Le cortège entre au Casino.
 

    A l’entrée une jeune fille offre un bouquet à M. Félix Faure ; c’est Melle Cornélie D’Albert, la fille du directeur du casino et du Théâtres-des-Arts de Rouen. Le président est immédiatement conduit dans la salle de banquet. Le repas est tout intime. Les autorités et les présidents des comités y assistaient ; en tout soixante et un couverts.

 

     À midi trois quarts, le président, au milieu de nouvelles acclamations, se dirige vers le quai de la vicomté. Il avait décidé de faire par mer la seconde partie de son voyage. Sur son passage, des bouquets lui ont été offerts par des enfants, les jeunes Biard, Dehilote et Lenoir.
 

     À midi cinquante, il montait à bord du remorqueur Bois-Rosé, qui escorté des canots de sauvetage, l’a conduit à bord de l’Aviso l’Epervier. Les jetées étaient noires de monde. Les acclamations n’en finissaient plus. Mais bientôt le navire de l’Etat disparaissait à l’horizon.
 

     Fécamp, 8 h 35, du soir. L’après-midi s’est passé en réjouissances et en jeux divers. Les enfants de Fécamp et d’Yport donnaient un concert. Le Casino donnait une représentation et un bal où la foule était très grande. Ce soir, les illuminations sont nombreuses, et le feu d’artifice termine dignement cette fête dont le souvenir restera gravé dans tous les cœurs fécampois. Dans la soirée, on a affiché cette proclamation de M. Le Borgne, maire, aux habitants de Fécamp :

 

 

    “Mes chers concitoyens,
 

    “Votre admirable réception a tellement touché le Président de la République que son dernier mot en quittant notre ville a été pour me prier avec insistance de vous exprimer ses remerciements. Par une déclaration immédiate et publique, l’administration municipale est heureuse de vous adresser les félicitations du chef de l’Etat. Elle y joint les siens en accentuant d’un sentiment de reconnaissance pour tous ceux qui ont acclamé avec une imposante unanimité celui qui représente avec tant d’autorité la patrie et la République.  
      “Vive la France ! Vive la République !”

                                                                                                                                                                                                                          Le Maire : A. Le Borgne
 

                                                                                                                                       Journal de Rouen 13 août 1895 - Archives départementales de Seine-Maritime - Cote JPL 3_209