FÉCAMP-FESTIF - Les GRANDS ÉVÉNEMENTS
Page créée le 31 mars 2017

Discours de M. Jean Revel


    Après un air vivement enlevé par la musique municipale, la haute stature de Jean Revel se dresse près du marbre et dans le clair matin d’été, il prononce ces quelques mots :


    Les organisateurs de cette fête littéraire ont bien fait d’élever un monument qui ramène ici jean Lorrain et qui s’implante a nouveau pour l’immortalité, au sol de sa ville natale. En reprenant son bien, en rappelant à elle tous ses fils, la Normandie n’est point jalouse de sa sœur “Lorraine”. Elle félicite au contraire Paul Duval (né en littérature après 1870) d’avoir arboré crânement un nom sacré, un nom qui manque à la famille, et dont la Maison de France est en deuil.


    Mais enfin, il est bien nôtre. Il l’est par sa puissante imagination, par la sobriété nerveuse de son style, par la solide ordonnance de sa pensée. Sans doute, il fut excessif, outrancier, mais Flaubert ne le fut-il point ? Et Barbey d’Aurivilly ? Du reste, ne vous y méprenez point ; la fougue de ces grands écrivains se rectifie d’elle-même et se tempère par un fond de patience qui chez les nôtres n’est jamais profondément troublé, ni définitivement altéré.


     Fils d’armateur, petit-fils de marin, arrière-petit-fils de corsaire, Lorrain appartient à la lignée des Northmen. Il manifeste le génie de cette race célèbre par son désir d’aventures, d’évasion et d’exodes, par sa soif de batailles, son goût des folles équipés, par l’agressivité d’une plume qui a des façons de flamberge. Il manifeste tout cela sans mesure, âprement, de manière un peu morbide. Assurément, ce viking a fait ses classes, mais n’est point resté classique. Au cours de sa culture latine, il a dû se complaire en ces deux mots : agri somma.


    C’est en effet, un douloureux, un névrosé, un saturnien Voyez sa physionomie ravagée, son front strié de rides, le pli amer de ses lèvres, son attitude rebelle, ses yeux d’angoisse…. A le voir, on comprend de suite pourquoi sa muse a été une Euménide.
Par quelle singulière anomalie Lorrain vit-il toutes choses à travers un voile de nostalgie et d’inexpressible tristesse ? Par exemple la Normandie est pour lui un pays “pluvieux et froid”. Or, pour d‘autres, elle est gaie sous sa fine lumière, avec ses frondaisons tendres. Ou bien, elle apparait tragique, flagellée par les tempêtes de Noroêt. Elle n’est jamais ni morose, ni déprimante, ni indifférente. A ceux qui lui restent fidèles, elle inspire la verve gauloise, celle qui fait “du bon sang” et pas de fiel : elle communique le rire sonore et la vertu du terroir ; elle donne la quiétude des jours et le rêve ensoleillé des nuits.


     Jean Lorrain, normand déraciné, demeura sombre et seul, dans la capitale hostile. “Les poètes naissent en province et meurent à Paris” – parole vécue dont Lorrain fut un exemple.


     Or, à quoi bon relever les écarts d’une vie, ses erreurs et ses fautes ? Qu’importent les vicissitudes où s’égare telle personnalité ? pourquoi s’intéresser aux épreuves, méritées ou non, qui terrassèrent un homme ? il reste ceci : Lorrain fut un grand artiste : grâces soient rendues à ceux qui le glorifient.


     L’heure est venue où nous devons réunir tous nos frères en idéal, maîtres comme disciples, écrivains glorieux poctœ  minores, les timides, les exaltés, les exorbités. Tous ensembles, ils se complètent et s’expliquent. Ils sont harmoniques. Et le bouquet de leurs noms peut être offert, en hommage à leur mère, à la Déesse Normandie. Un dernier mot, Messieurs. C’est ici une fête régionaliste, un geste de décentralisation. En France, les grands mouvements nationaux sont déterminés par les écrivains et les penseurs. Ce sont les lettres qui commencent et qui commandent. Souhaitons que les politiques reconstituent, non par les provinces, mais par la Province.


     Au pied de ce monument, devant cet homme qui a illustré la Normandie, en dotant la langue française de nouveaux chefs d’œuvres, saluons la patrie une et indivisible. Elevons nos âmes vers cette diversité de génies dont est fait l’éblouissant soleil de France.


     Le dernier discours et non des moindres est prononcé par l’excellent écrivain qu’est M. Normandy, secrétaire du comité.

   Après avoir de par sa fonction, remercié tous les organisateurs de la fête, dans un discours charmant et dont la longueur ne nous permet pas malheureusement de donner la teneur, M. Normandy, dans un parallèle saisissant de la vie des Normands à travers les âges et de celle de Jean Lorrain, de l’activité, de l’énergie des vainqueurs d’Hastings et de celle du regretté écrivain, fait souvent crépiter les applaudissements enthousiastes de la foule par son éloquence, sobre et de son bon goût.


     C’est la fin des discours.

 

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