FÉCAMP-FESTIF Introduction
Page créée le 16 septembre 2016

LA PÊCHE À LA MORUE À FÉCAMP

Extrait de l'Enquête Morale, Commerciale et Maritime, publiée au Congrès Agricole et Industriel,
Fécamp le 17 juillet 1850.

 

     Avant la Révolution, le port de Fécamp armait annuellement huit ou dix petits navires, presque tous ayant été des bateaux-pêcheurs de harengs, que l'on avait radoubés tout exprès pour aller faire la pêche de la morue sur le grand banc de Terre-Neuve. Ces navires jaugeaient chacun de 60 à 80 tonneaux ; leur équipage se composait de dix à douze marins, tout compris.
     La pêche se faisait pendant que le navire était en dérive, et chaque matelot, debout dans un baril fixé sur le pont, sans autre mouvement que celui des bras, tenait, pendant toute la durée du jour, une ligne, avec un plomb à la main, qu'il tirait à bord quand il sentait que le poisson était pris. On était souvent sept ou huit mois, et même plus, à faire le voyage.
     Quand la réussite était complète (ce qui n'arrivait pas tous les ans), ces petits navires apportaient chacun douze à quinze mille morues salées en vrague ou grenier, et tranchées au rond, qu'ils allaient vendre à Dieppe ou à Honfleur, où étaient des entrepôts de morues. La longueur du temps que l'on était en mer, l'immobilité des marins, par la méthode de pêcher à cette époque, et surtout la privation de nourriture rafraîchissante, faisaient revenir ces marins avec la maladie du scorbut, dont quelques-uns succombaient souvent avant l'arrivée au port.
     Quelques années avant 1789 , un capitaine de Dieppe, nommé Sabot, frappé de la nécessité d'abréger le temps de la pêche , et plutôt dans un but de mieux réussir, eut l'idée de faire l'application de la méthode des lignes de fond , que les pêcheurs du Pollet pratiquaient si habilement dans les endroits les plus profonds de la Manche, et réussit parfaitement, en jetant le premier l'ancre sur le grand-banc, à apporter, en fort peu de temps, un chargement complet de morues , et entreprit de suite, dans la même année , un second voyage, pendant lequel il réussit encore complètement. Encouragé par ce succès, il recommença les années suivantes et fut imité par ses compatriotes, qui ne tardèrent pas à abandonner la méthode de pêcher en dérive pour adopter celle des lignes de fond.
    Nos marins de Fécamp durent aussi adopter cette méthode, quoique défendue par le Gouvernement, sous le prétexte que l'on était exposé à perdre des marins dans les chaloupes. Les ports de l'ouest de la Manche, qui avaient en vain sollicité cette autorisation, se mirent à employer, cette méthode en cachette. Mais à peine avaient-ils commencé, que les guerres de la Révolution mirent un obstacle complet au développement que promettait cette méthode de pêcher la morue, et ce n'est que depuis le commencement de la paix que l'on a pu parvenir à la développer et à la perfectionner.

 

     Moyens d'existence, à Fécamp, des Familles de pêcheurs de morue au grand-banc de Terre-Neuve.
 

     Les familles des pêcheurs de morue, à Fécamp, existent avec le gain provenant du produit de la pêche du père de famille. Les femmes, pendant l'absence de leurs maris, travaillent à porter du sel, et à d'autres travaux de pêche ou de navigation.
 

     Préparations de la morue.
 

     On prépare le poisson de deux méthodes différentes : en magne, ou en tonnes. On appelle ces deux méthodes de préparation salée au vert. La morue salée en vrac et tranchée au rond est consommée sans nouvelle préparation, et c'est celle que nos navires apportent à Fécamp. Celle tranchée au plat est destinée à être séchée ; elle est apportée directement, des lieux de pêche, dans les ports voisins des endroits de consommation, tels que Bordeaux, la Rochelle, Cette, etc. On emploie, pour la préparation de ces morues, des sels français de l'Ouest et du Midi, et même des sels étrangers d'Espagne ou du Portugal. Pour l'autre méthode, qui nécessite une seconde préparation de repaquage à terre avant la consommation, on emploie, le plus communément, des sels de St-Ubec (Portugal), à cause que le grain de ce sel, étant très blanc et moins menu que celui des sels de tous les autres marais, est aussi moins susceptible de fondre dans la saumure que conserve le tonneau.
 

     Tous les navires de Fécamp faisant la pêche de la morue vont pêcher sur le grand-banc de Terre-Neuve. A de rares intervalles, on a tenté la pêche en Islande ; mais le peu de produits des armements y a toujours fait renoncer.
 

     Le nombre des navires, à Fécamp, s'est toujours accru jusqu'en 1828, où il s'est élevé à 25, d'une contenance de 5 000 tonneaux au moins. Ces 25 navires étaient montés par 575 hommes, et donnaient un produit annuel de 700 à 750 000 francs. Les trois quarts de ces navires préparaient leurs morues en tonnes, et l'autre quart les préparait en vrague ou grenier, en tranchant la morue au rond.
    Après 1850, le nombre des navires a diminué sensiblement et est resté, pendant quelques années, fixé à 15 ou 16, d'une contenance de 2 500 tonneaux, et employant 225 à 240 marins. Avec la diminution des navires, on a aussi diminué la préparation de la morue en tonnes, qui a été presque entièrement abandonnée, et on s'est porté sur la préparation de la morue tranchée au plat, destinée à être séchée. A partir de 1855, le nombre des navires a augmenté de nouveau jusqu'en 1841, où il s'est fixé à 55 ou 56, d'un tonnage d'environ 5 000 tonneaux, et employant environ 560 marins. Tous ces navires, excepté 5 ou 6 qui apportaient leur morue tranchée au rond à Fécamp et faisaient presque toujours deux voyages dans leur campagne, allaient déposer le produit de leur pêche à Bordeaux, Rochefort, la Rochelle, Nantes, etc., et revenaient à leur port d'armement avec un chargement de sel ou de liquides. À partir de 1844 et jusqu'en 1849, le nombre des navires a diminué subitement et s'est maintenu de manière qu'il paraît vouloir s'augmenter ; mais aussi leur tonnage a augmenté, ainsi que les produits de pêche.

     Voici le tableau des armements et des produits de pêche pendant ces six dernières années , d
'après ce tableau, on voit que la pêche de la morue est en progrès à Fécamp.

     Gains ou bénéfices des marins.
 

     Les marins (simples matelots) gagnent, chaque année, pendant leur voyage, en y comprenant le pot-de-vin donné par l'armateur, de 500 à 800 francs, suivant la réussite. Ils sont de sept à neuf mois à faire leur voyage, qui se termine dans le port de destination ; soit la Rochelle, Bordeaux ou Cette. Ils sont payés à raison de 50 francs par mois, pendant leur séjour au port de destination et pendant la traversée de retour au port d'armement ; ce qui peut durer de deux mois et demi à quatre mois. Ces mêmes hommes étant de retour au port d'armement, sont presque continuellement occupés à travailler, jusqu'au moment du nouveau départ, à la réparation du gréement du navire et à son réarmement. Le gain des novices et mousses est proportionnel à celui des matelots, c'est-à-dire qu'il est, suivant l’engagement, des 7/8, 3/4 ou 2/3 pour les novices, et de moitié pour les mousses.
    On peut évaluer les bénéfices du voyage du second capitaine à quelque chose de plus que le double de ceux d'un matelot, et ceux du saleur à un peu moins que le double. Les bénéfices du capitaine peuvent être évalués à cinq ou six fois ceux d’un matelot.

Source : Annuaire des cinq départements de l'ancienne Normandie - Gallica - La bibliothèque numérique de la B.N.F.
 

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