CAMP-FESTIF 
 
Page créée le 29 janvier 2018 - Mise à jour le 11 juin 2018

      8 heures 30 (huitième heure....)

     Sans une minute de répit, le ministre est conduit à cinq heures, à la salle du Val-aux-Clercs où l’attend un banquet monstre. Là encore on a fait des merveilles. La salle, ornée de tentures tricolores, éclairée à profusion à la lumière électrique, est agencée de la façon la plus heureuse. La table d’honneur est sur la scène, au milieu d’un décor de verdure et de fleurs où se jouent les lampes électriques ; une tente faite de filets dissimule les frises. Les tables remplissent la salle entière ; elles courent autour de la galerie. Pas une place n’est perdue. Il y a 460 couverts.
 

     Après un excellent diner auquel chacun fait honneur car cette journée au grand air a aiguisé les appétits, et dont le menu restera dans les collections avec sa jolie vue de Fécamp en photogravure, les Enfants de Fécamp annoncent les toasts par l’exécution magistrale d’une fantaisie sur les Huguenots.

La parole est à M. Hendlé, préfet de la Seine-Inférieure, qui remercie en excellents termes, M. Viette d’être venu visiter cette population de braves gens de mer, l’élément le plus important de notre marine nationale. Les travaux que l’État a faits et ceux qu’il fera à Fécamp ne sont pas perdus pour la chose publique.
 

      Parlant de la décoration de M. Le Borgne, M. Hendlé remercie M. Viette d’avoir apporté la croix de la Légion-d’Honneur à M. Le Borgne qui est : “un honnête homme, un excellent maire et un solide républicain” (deux salves d’applaudissements).
 

     M. le préfet rappelle que la ville et le canton de Fécamp sont venus, il y a huit ans, à la République et forment aujourd’hui une citadelle contre laquelle viennent se briser toutes les forces de la réaction (Bravos prolongés). M. Hendlé termine en parlant de la santé du Président de la République, au milieu des acclamations de toute la salle.
 

     M. Le Borgne, maire de Fécamp prononce un discours fort intéressant et fort applaudi. On en lira avec plaisir un passage tout à l’honneur de sa ville.
 

     “La prospérité de notre port est presque devenue, du reste, d’un intérêt national : En effet nos marins, aguerris par le rude labeur de la pêche et par une lutte continuelle, hélas ! trop souvent meurtrière contre les éléments, sont en temps de guerre le principal aliment de la marine de l’État et l’une de nos plus précieuses ressources.

    “Vous en conclurez avec nous, monsieur le ministre, qu’il faut encourager l’armement. C’est l’association, vous le savez, de l’équipage et de l’armateur ; celui-ci donne son navire, l’approvisionne, le grée, en un mot paie toutes les dépenses ; les hommes fournissent leur travail, risquent leur vie, et au retour, une part du produit total leur est allouée. Tous donc sont liés par les mêmes intérêts, les mêmes ambitions ; et depuis un siècle, cet état de choses se continue, sans que le moindre dissentiment en soit venu déranger le bon accord.

      “Au moment où tant de luttes entre patrons et ouvriers viennent troubler l’ordre social et nous affliger, nous sommes heureux et fiers de vous citer un tel exemple. Nous nous considérons presque tous ici de la même famille ; le marin nait marin et sera marin ; le père, les frères ainés sont morts à la mer, le dernier sera marin quand même : sa vocation est irrésistible. Le capitaine a fait son apprentissage par huit ou dix années de Terre-Neuve et, quand il en vient à solliciter son brevet, il est déjà plus capable de diriger une opération de pêche et de conduire un navire que la plupart de ses concurrents.

     “Ceci m’amène tout naturellement, monsieur le ministre, à vous demander votre bienveillante intervention auprès de votre collègue du département de la marine, pour nous obtenir le rétablissement de l’École d’hydrographie qui existât à Fécamp, pendant plus de cent trente ans, jusqu’en 1875, où elle fût supprimée, malgré les grands services qu’elle avait rendus et la juste renommée dont elle jouissait.

     “C’est un véritable crève-cœur pour nos capitaines et une perte de temps décourageante que d’être obligés d’aller faire ailleurs leurs études. Ils préfèrent parfois y renoncer, et c’est là un état de choses fort préjudiciable à l’avenir de la pêche. Aussi considérons-nous que le rétablissement de l’École d’hydrographie est le corollaire indispensable des améliorations que réclame le port, et nous sommes sûrs, en le demandant, d’être approuvés par les directeurs de nos grandes compagnies marchandes et par tous les pêcheurs français auxquels Fécamp a fourni naguère leurs plus brillants capitaines.”
 

     M. Le Borgne rappelle les désirs de Fécamp : le prolongement de la jetée Nord, l’approfondissement complet de l’avant-port et l’achèvement du grand bassin. Il porte en terminant, la santé de M. Viette, aux acclamations de l’assemblée.
 

     M. Lesouef, sénateur, traite avec l’humour que l’on sait la question économique ; raillant avec esprit les gens qui se hâtent d’annoncer des désastres accomplis avant que le régime douanier ait pu produire le moindre effet ; chantant la gloire du mouton du pays de Caux qui peut engraisser à souhait en vue de l’abattoir ; réclamant pour bientôt la protection du lin et des graines oléagineuses sacrifiés.
 

      Vive le hareng ! crie un interrupteur. M. Lesouef oublie d’autant moins ce précieux poisson que sa causerie s’achève par un toast aux marins.

M. Félix Faure succède à M. Lesouef, le libre-échange à la protection. Va-t-on en venir aux mains ! Non. M. Lesouef a eu soin de dire qu’il n’y avait dans les questions économiques, rien d’absolu et qu’il ne fallait point de collisions, mais des concessions réciproques.
 

      Le député du Havre se contente de dire :

      “Attendons l’essai loyal du régime économique ; le peuple ensuite, saura bien reconnaitre les siens.

     “ Puis il passe à un autre sujet et parlant au ministre des craintes qui doivent l’assaillir quand il voit se lever maire, sénateur, député, conseiller général, il défend les Normands contre la réputation qui leur est faite de vouloir toujours tirer de petits profits.

      “Nous demandons seulement au ministre un peu de son esprit et beaucoup de son cœur.”

Il invite M. Viette à venir souvent en Normandie, non seulement en ministre, mais en ami pour y parler à ce peuple qu’il n’a pu voir de près, à cette jeunesse républicaine qui, comme elle l’a promis, assurera bientôt un député républicain à la troisième circonscription du Havre.
 

      M. Delaunay, conseiller général, remercie en termes heureux les invités de tous rangs et finit sur ces mots :

      “À nos invités d’aujourd’hui qui resteront, nous l’espérons, nos amis de demain.”