FECAMP FESTIF - La FÊTE DANS LES ENTREPRISES
 D'après un document, gracieusement mis à notre disposition par Mme Nicole Le Grand.    
Page créée le 19 décembre 2016 - modifiée le 23 mars 2017

Discours de M. Marcel Le Grand

       M. Marcel Le Grand commence par remercier les membres du conseil d’administration et en particulier son président M. Watel-Dehaynin, pour les éloges qu’il a adressés à la direction de la bénédictine. Il rappelle que depuis trente-trois ans qu’il est attaché à la Bénédictine, il a, de concert avec ses frères et d’accord avec le conseil d’administration, continué et développé les œuvres fondées par son père.
 

       Avec beaucoup de tact, M. Marcel Le Grand se borne à énumérer tout ce qui a été fait en vue d’attacher le personnel à l’établissement :
      “Nous avons actuellement ici – dit-il – une caisse de secours fondée en 1874 et une caisse ce retraites créée en 1880. Cette dernière a cela de particulier qu’aucun versement n’est fait par les ouvriers ; elle est alimentée par le droit d’entrée de 0 fr.25 que versent les nombreux visiteurs de l’établissement, plus de 20.000 chaque année, et par différents dons.

      “A côté fonctionne depuis 1885 une société de secours mutuels, l’Union des ouvriers et employés de Fécamp, que j’ai l’honneur de présider depuis 26 ans et dont la majorité de nos employés et ouvriers font partie, aussi la société Bénédictine a-t-elle pris l’habitude de verser chaque année 1.000 francs à la caisse de l’Union et à l’occasion du Cinquantenaire, le conseil d’administration a décidé spontanément de doubler cette allocation. Au nom de tous les sociétaires, je lui adresse l’expression de notre profonde gratitude.

       “Un peu plus tard est créé l’orphelinat de la Bénédictine où 104 orphelins sont recueillis. Celles travaillant à l’usine reçoivent à leur sortie une dot de 500 francs et un trousseau offert par les sœurs de Saint-Vincent-de-Paul.

       “Depuis 1898, tous les ouvriers appelés à faire une période militaire reçoivent intégralement leur salaire pendant toute la durée de leur présence au corps, afin que les femmes et leurs enfants n’aient pas à souffrir du départ du chef de famille. La question des salaires qui à l’heure actuelle et à cause de la vie chère, est une de celles qui dominent toutes les préoccupations de l’ordre matériel et qui dans l’ordre moral se rattachent aux soucis les plus élevés, car il s’agit de l’existence, de la dignité et du bonheur de la famille, a été résolu ici de la façon la plus large, en particulier lors de l’application de la loi des dix heures qui, cependant, jetait chez nous une certaine perturbation.

       “Dans le même ordre d’idées, je suis heureux de vous annoncer que, sur notre proposition, le Conseil vient d’autoriser qu’un médecin soit attaché à la Bénédictine, afin de donner à l’établissement même, des consultations gratuites aux employés, ouvriers et ouvrières. Toutes ces améliorations, faites-en vue de diminuer vos charges et de vous donner plus de bien-être, n’ont pu se réaliser que dans l’ordre et dans le travail.

      “Permettez-moi de vous remettre en mémoire les paroles si belles et si profondes que prononçait il y a treize ans M. Millerand à l’inauguration de l’exposition universelle de 1900, alors qu’il était ministre du commerce. Dans une de ces admirables péroraisons dont il connait le secret, il disait : “Oh travail, travail libérateur et sacré, c’est toi qui ennoblis, et c’est toi qui consoles, sous tes pas, l’ignorance se dissipe, le mal s’enfuit, monte sans cesse vers cette région lumineuse où doit un jour se réaliser l’idéal et parfait accord de la puissance, de la justice et de la bonté.


       “Ces paroles, mes chers collaborateurs, doivent rester gravées dans notre mémoire et tous nous devons les méditer. Oui, c’est bien le travail qui ennoblit et qui console, non seulement il fait connaitre au monde le génie de la France, mais il nous donne encore avec les ressources indispensables pour faire face aux nécessités de l’existence, la possibilité de créer des œuvres comme celle que nous fêtons aujourd’hui qui s’appuie sur la console et la fraternité.

       “Dans cette salle se trouvent réunis nos plus anciens et nos meilleurs employés et ouvriers : pour ne citer que quelques noms, j’aperçois Mme Florval Brasseur qui porte gaillardement ses 47 années de service ; MM. Emile d’Alençon, 43 ans ; Charles Leconte, 38 ans ; Lucien Déneuve, notre chef de bureau, 37 ans, et quantité d’autres qui appartiennent à tous les degrés de la hiérarchie administrative, depuis le modeste ouvrier d’atelier jusqu’au représentant de la société. Par leur union, par leur entente et leur bonne camaraderie, ils nous donnent le plus noble des exemples, nous sommes heureux de les féliciter et de les récompenser aujourd’hui.

        “Mes chers collaborateurs, mes chers amis, vous n’avez qu’à persévérer dans la voie que vous vous êtes librement tracée, vous pouvez être assurés que votre exemple sera suivi par vos jeunes camarades.

        “En ce qui me concerne, je suis fier de vous dire que je sais que je peux compter sur vous. Tous ici, vous avez conscience qu’en remplissant votre devoir de travailleur honnête et laborieux, vous faites en même temps œuvre de bon citoyen et de bon français. ” (Applaudissements prolongés.)

Discours de M. Vermont

 

     M. Henri Vermont, administrateur, qui fut le plus intime ami du fondateur de la Bénédictine, prend la parole en cette qualité. Il veut jeter un coup d’œil sur les origines et le passé de la grande maison dont on fête le cinquantenaire.
 

      Tout naturellement lui revient l’histoire bien connue du secret de la célèbre liqueur. Il rappelle comment, en 1510 un moine de l’abbaye de Fécamp, le bénédictin Dom Bernardo Vincelli eut le mérite de créer un cordial qui fortifiait les malades, et comment aussi en 1862, M. Le Grand, dont la famille avait été titulaire de charges temporelles dans l’antique abbaye, hérita d’un vieux manuscrit qui contenait les recettes de cette fameuse liqueur.
 

     “Les débuts furent difficiles à M. Le Grand. Il eut à lutter contre le dénigrement et l’envie, souffrit, dans son exploitation, de la guerre de 1870 et de la Commune, vit son banquier tomber en faillite et plusieurs de ses principaux actionnaires l’abandonner. Bref, tout semblait perdu ; mais il ne se découragea pas, pas même le jour où des mains criminelles – c’était en 1892 – allumèrent un incendie qui pouvait anéantir l’entreprise. Sa force de caractère, son courage, devaient triompher finalement de tant d’épreuves et faire de la Bénédictine de Fécamp ce qu’elle est aujourd’hui.
 

     “A ces qualités, M. Le Grand en joignait une autre : il était bon pour ses ouvriers et s’attacha toujours à améliorer leur sort. Ceux-là se trompent – dit M. Vermont – qui ne comprennent pas qu’entre patrons et ouvriers il y a autre chose qu’une question d’argent. L’inexorable loi de la solidarité que les hommes ne devraient jamais oublier s’impose tout particulièrement dans le monde du travail. L’ouvrier n’est pas quitte de toute obligation quand il a plus ou moins bien fait le travail commandé, il doit contribuer de son mieux à la prospérité de l’usine qui le fait vivre et qui lui permet d’élever sa famille. Le patron n’est pas quitte envers ceux qu’il emploie, quand il leur a payé le salaire plus ou moins équitablement convenu, il doit améliorer la condition de ses collaborateurs, veiller à la salubrité de leurs ateliers, écarter d’eux les accidents, s’intéresser à tout ce qui les concerne.
 

     “La visite de l’usine et la courte mais éloquente allocution de notre directeur général, vous ont prouvé qu’a la Bénédictine on a toujours parfaitement compris et pratiqué ces devoirs. L’union la plus parfaite règne entre la direction et l’administration, elle n’est pas moindre entre nous et nos laborieux collaborateurs. Grace à cette entente la Bénédictine est – comme on aime à le répéter – une grande famille, et les ouvriers rendent aux directeurs l’affection que ceux-ci leur témoignent. Ce sentiment engendre même parfois des actions d’héroïsme, comme celle dont furent témoins les personnes accourues au secours de la Bénédictine en flammes dans la nuit du 12 janvier 1892. Si cette nuit-là, le laboratoire ne fut pas détruit avec les 132.000 litres de liqueur qu’il contenait, on le dut à quatre hommes, quatre ouvriers, MM. Paul Fontaine, Millet, Morin et Saunier. Avec un courage surhumain, pendant plusieurs heures, au risque de leur vie, ils restèrent au faîte d’un mur branlant, la lance à la main, combattant sans merci la marche des flammes, qu’ils réussirent finalement à enrayer. L’usine était sauvée.”
 

     Et M. Henri Vermont de dire en concluant :
 

    “Et maintenant, vous savez d’où vient la prospérité de notre société, elle est due sans doute a l’excellence de la liqueur, à la supériorité morale et intellectuelle de ses directeurs et sous-directeurs, elle est également due à le manière dont ils ont toujours compris leur devoir de patrons. Nous sommes des chrétiens, nous connaissons et nous pratiquons de notre mieux le précepte divin qui a transformé le monde, en faisant aux hommes un devoir de s’aimer. Nous sommes des français et des françaises de notre temps, nous pratiquons de notre mieux la grande loi humaine de la solidarité dont l’oubli cause tant de haine et tant de ruines, tandis que son acceptation loyale et sincères crée, par l’union du capital et du, travail la richesse et le bonheur.
 

     “Ce que nous avons fait, nous le ferons toujours et c’est ce qui assurera de plus en plus le succès et la renommée de la Bénédictine, la grande liqueur française.”