FÉCAMP-FESTIF - La FÊTE DANS LA RUE - Les Cavalcades -
Dernière mise à jour : 7 février 2017

      
     On ne parle pas cette fois, de cavalcade, mais de Fête historique. Elle est organisée pour le 350e anniversaire de la venue de François 1er à Fécamp.

L’évènement a été immortalisé par le peintre et dessinateur Alfred de Saint-Edme grâce à un dessin sur le programme officiel, agrémenté d'une chanson écrite par  Louis-Léopold Durand , sous le pseudonyme de Heldé.

      Journal de Rouen : 14 avril 1884

      Nos compatriotes n’ont certainement pas oublié le succès obtenu à Rouen, il y a juste quatre ans, par le grand cortège historique organisé par les soins du Comité des Fêtes de Bienfaisance. Ils se rappellent encore la pompe et l’éclat de ce magnifique défilé où seigneurs et gentilshommes, pages et écuyers, estafiers et hommes d’armes rivalisaient de bonne mine et d’élégance et faisaient étinceler au soleil les broderies d’or de leurs pourpoints. On eut dit que la vieille cité, soudain métamorphosée, s’était refait une seconde jeunesse et revivait pour un instant les beaux jours de son passé.

     Cet exemple a fait école et il n’est aujourd’hui si mince sous-préfecture, si petite ville de province qui ne tienne à honneur de raviver les souvenirs de son histoire dans quelque brillante cavalcade, quelque mirifique chevauchée recrutée à grands frais parmi la fine-fleur de la jeunesse de l’endroit. Cette année, ce sont deux petites localités normandes, deux petites villes également favorisées sous le rapport du pittoresque et de la situation, Fécamp et Vernon, qui veulent sacrifier au goût du jour et profiter des vacances pascales pour organiser, elles aussi, des cavalcades historiques.

     À Fécamp, le sujet mis en action nous reporte aux plus belles années de la Renaissance, à cette époque de vie et d’épanouissement chevaleresque où tout était plaisir, réjouissances, fêtes galantes, brillants tournois. Il s’agit de la joyeuse entrée du roi François 1er dans les murs de la cité fécampoise, en l’an de grâce 1534. Etant donnés les costumes du temps, âge d’or de la soie et du velours, des pourpoints tailladés et des casaques mi-parties, on avouera qu’il était difficile de choisir un thème mieux approprié aux brillantes fantaisies d’une cavalcade. Toutefois, il faut bien l’avouer, les documents historiques faisaient ici défaut. Les vieilles chroniques, si riches en renseignement religieux, sont à peu près muettes sur les détails de cette auguste visite et le cérémonial dont elle dût être accompagnée. Elles se bornent à constater que le roi, accompagné de toute sa cour, y compris la reine et le Dauphin, fit son entrée dans la ville dans le courant du mois de juin et alla loger à l’abbaye, où il fût reçu par le cardinal Jean de Lorraine, trentième abbé de Fécamp. 
      Elles ajoutent que ce voyage, durant lequel François 1er visita plusieurs places fortes de Normandie avait pour principal motif le recrutement d’un bataillon de légionnaires et, pour motif accessoire, le mariage de François de Bourbon, comte de Saint-Pol, avec la Duchesse Adrienne d’Estouteville, seule héritière de ce grand nom. Ces nobles fiançailles furent célébrées au château de Valmont, vieux castel mi- gothique, mi- renaissance, dont une des salles porte encore le nom de Galerie François 1er.

      À ces détails sommaires, on aimerait en ajouter d’autres. On voudrait savoir quel fut l’accueil fait au roi chevalier par les bourgeois de Fécamp ; comment ce fin limier, expert aux chasses de Cythère, trouva les paysannes cauchoises, réputées naguère pour les plus belles filles de France ; enfin comment lui et sa cour furent reçus, logés et hébergés par les bons moines de l’abbaye dont la robe de bure et les mœurs austères devaient former le plus singulier contraste avec les pompeux atours et l’allure délibérée de tant de hauts et puissants seigneurs.
Certes la chair dût être exquise et les fruits savoureux car les dignes religieux, en dépit de leur austérité, possédaient la plus riche garenne et les plus beaux vergers du pays de Caux. Ils étaient en outre approvisionnés chaque jour d’une provende de poissons frais et de coquillages de toute sorte, dime de la mer apportée au monastère par les pêcheurs du littoral, leur tributaires et mainmortables. Enfin, s’il n’avait point inventé leur fameuse Bénédictine cette rivale de la Chartreuse, ils purent offrir à leur royal convives quelques flacons de leur petit vin normands, vins d’Aizier, d’Argences et de Longueville, alors fort estimés, dont les vignobles leur appartenaient en propre. Mais ce ne sont là que pures conjectures et l’imagination du conteur doit naturellement s’arrêter devant la pénurie des renseignements.

     Quoi qu’il en soit, la jeunesse fécampoise n’en a pas moins très-heureusement tiré parti de cet épisode, greffant sur données obscures de l’histoire les éléments plus élastiques que pouvait lui offrir la tradition. Aux chatoyantes séductions du cortège royal, composé des hauts dignitaires, des princes, des maréchaux des ambassadeurs, des pages, des officiers tout chamarrés de galons et d’aiguillettes, ainsi qu’il convient à des gens à haute lignée, elle a ajouté le défilé plus simple, mais non moins pittoresque, des notabilités locales, ayant à leur tête les échevins et le bailli.
On a vu tour-à-tour Jehan de Cauquigny, seigneur de Theuville, capitaine et gouverneur de Fécamp, casque en tête, flamberge au vent ; Jacques de Vasouy comte de Senneville, lieutenant du guet, et Pierre de Thuit, procureur du Roy au grenier et magasin à sel de la ville, poste important dans une localité renommée de tous temps pour ses salaisons et ses saumures. On y a vu aussi, à la suite des groupes d’archers, de hallebardiers, d’arquebusiers, de piqueurs, de trompettes à pied et à cheval, complétement inévitables de ces sortes de chevauchées, Monseigneur le Dauphin le futur Henri II, déjà gouverneur de Normandie, bien qu’il n’eut que seize ans, lequel était suivi de près de la maison militaire du roi, précédé du vaillant M. de la Mark, capitaine des Suisses de la garde royale.

     Enfin, au milieu de son escorte d’honneur, est apparu le roi chevalier, monté sur son cheval de parade, armé de toutes pièces, paré du pourpoint galonné et du large feutre à longue plume flottante que lui prête la légende. Une cavalcade de province, destinée surtout à recréer les populations rurales, ne serait pas complète si la note comique ne s’y mêlait ; aussi l’y avons-nous  retrouvée sous la casaque bigarrée du joyeux triboulet, le bouffon royal, qui le bonnet en tête et la marotte en mains, débitait à la foule ses quolibets et ses lazzis. Nous avouons être moins satisfaits des groupes grotesques des Lutteurs et du Charlatan, adjonctions triviales et toute modernes qui nous paraissent détonner singulièrement au milieu de cette longue file de gentilshommes et de chevalier représentant les plus hauts noms de la noblesse française. Nous comprenons beaucoup mieux les chars allégoriques de la Jeunesse et de la Charité, ceux surtout de la Marine et de l’Agriculture, allusions heureusement choisies dans un milieu uniquement consacré aux transactions agricoles et maritimes.

      Ne soyons pas trop sévère pour ces légers anachronismes, pour quelques pauvretés de détails dont les plus grandes villes elles-mêmes ne sont pas exemptes. N’envisageons ici que les efforts tentés, la bonne volonté de tous et n’oublions pas surtout le but philanthropique de cette fête toute de bienfaisance et de charité.
Pour que rien ne manquât à la journée, on avait, par imitation de ce qui s’est fait dans les fêtes de Paris, fait paraître un journal spécial : le Fécamp-François 1er dont le numéro unique était mis en vente chez les librairies de la ville, au prix de 1fr. Les gravures représentaient : le Roi et Triboulet, un Capitaine des gardesVue de l’Abbaye et de son enceinte fortifiée, la Chevauchée du roi arrivant au château de Valmont, le Château de Valmont, le Coucher du roil’Allégresse du Peuple. Enfin une lithographie hors texte représentant le Roi reçu par le corps de ville.

     Nous avons malheureusement à constater un incident fâcheux, qui a été vite réprimé d’ailleurs. Un membre de la cavalcade avait cru spirituel de mettre à la queue de son âne un drapeau tricolore. Il va sans dire que le commissaire de police a fait cesser aussitôt cette exhibition indécente. Il s’est produit un accident, mais qui n’aura pas de suites graves, il faut l’espérer. Un figurant du char de la marine qui suivait le cortège, est tombé et s’est blessé.
On a beaucoup remarqué le char de l’Enfance, qui était très réussi ; par contre, il fut bien le redire, le char des lutteurs n’était guère qu’une mascarade ridicule. En résumé, l’organisation de la cavalcade était réussie dans l’ensemble ; on ne saurait trop louer la fraîcheur et la beauté des costumes. Quant à la foule, elle était considérable ; mais était-ce un effet du froid vif  qui régnait, l’enthousiasme des spectateurs était en somme, assez restreint.

Journal de Rouen 14 avril 1884 - Archives départementales de Seine-Maritime JPL 3_186          
 
Voir le texte de la chanson du programme.