FÉCAMP-FESTIF - Les GRANDS ÉVÉNEMENTS - Quelques anniversaires d'entreprises.
  D'après des documents, gracieusement mis à notre disposition par la famille Le Grand.
Dernière mise à jour le 14 octobre 2016
     Correspondance internationale, 1er juillet 1895.

 
     Une fête à Fécamp :

 

      La jolie cité normande avait revêtu le 30 juin, un air de fête : les cloches de l’Abbaye égrenaient dans l’azur du ciel leurs notes joyeuses ; les bannières et les oriflammes clapotaient sous le souffle léger du vent du large ; les visages respiraient la bonne humeur et la gaieté. Tout le monde avait revêtu ses habits de gala, car il s’agissait de faire honneur à un homme universellement aimé dans la région, M. A. Le Grand aîné, directeur-fondateur de la Distillerie de la Bénédictine, qui avec le Conseil d’administration de la Société, avait invité ses amis et les représentants de la presse parisienne et régionale à la fête d’inauguration des nouveaux bâtiments.

   
      On se souvient, en effet, qu’au mois de janvier 1892, un violent incendie, œuvre de mains criminelles, avait détruit presque entièrement la Distillerie. Grâce aux efforts de son Conseil d’administration, l’Abbaye devait se relever bien vite de ses ruines : ce fut un véritable palais qu’il nous fut donné de contempler. Les nouvelles constructions sont tout simplement ravissantes, en leur genre Renaissance, avec leurs clochetons gracieux et leurs flèches élancées, avec leurs fenêtres à vitraux et leurs toits élevés. La salle des Abbés, notamment, où fut servi le déjeuner, est admirable : éclairée par des fenêtres à vitraux magnifiques, avec les statues des différents abbés qui dirigèrent l’abbaye, cette salle produit un effet splendide. Il y a bien peu, je dirai même il n’y a pas d’usine en France qui puisse rivaliser avec celle-là, tant comme installation technique que comme coup d’œil. Il n’y a certainement pas beaucoup de directeurs capables de mener à bien une affaire de cette importance, comme M. A. Le Grand a su mener la sienne, brillamment secondé en cela par deux aimables fils, MM. Marcel et Albert Le Grand.

     Je disais tout à l’heure que M. A. Le Grand était l’homme le plus aimé de la région, et je vais vous en fournir la preuve. L’excellent industriel est en effet un non moins excellent phil
anthrope ; sa charité est proverbiale dans le pays ; vous ne verrez du reste pas de mendiants à Fécamp. Il a fondé, en outre, un orphelinat où les jeunes filles sans famille sont élevées jusqu’à seize ans, puis à cet âge, elles sont employées à la fabrication de cette liqueur divine, que l’on nomme : Bénédictine. Lorsqu’elles sont en âge de convoler en justes noces, on leur fournit un trousseau complet augmenté d’une petite dot. Quand l’année a été bonne (et elle l’est toujours), les ouvriers sont gratifiés, chacun selon son mérite, d’une somme d’argent.
Une Harmonie, excellente ma foi a été fondée sous le nom d’“Harmonie de la Bénédictine”, par M. Le Grand. Elle remporte tous les prix dans les concours et enlève ses morceaux de façon vraiment remarquable. Comme conseiller général, M. Le Grand a procuré à sa ville différentes réformes. Bref, il a mis en pratique des principes forts beaux, et a fait en somme œuvre de socialisme parfait, c’est-à-dire que si tous les chefs agissaient de même, ce serait vraiment le Paradis sur terre.


    Mais parlons un peu de la fête ravissante qu’il nous fût permis de voir l’autre jour ; je commencerai par remercier MM. Le Grand, de l’excellente et cordiale hospitalité qu’ils ont réservé aux journalistes. Le souvenir en restera longtemps dans nos cœurs, et c’est avec un sentiment très vif de sympathie que nous rappellerons les heures agréables que nous passâmes à Fécamp. Après avoir été présentés au Conseil d’Administration et à son directeur, le cortège composé des notabilités de région, des gros industriels, des journalistes, etc…, le cortège se dirigea à l’église où fut célébré une grand’messe avec le concours de “l’Harmonie” qui exécuta avec beaucoup de brio différents morceaux fort goûtés. M. le curé doyen, prononça un discours trè éloquent sur le travail ; avec beaucoup de finesse et de tact il rendit hommage à la longue carrière de M. Le Grand ; il fit même allusion        à la presse d’une façon très gracieuse, et les éloges qu’il nous adressa nous ont tous extrêmement touchés.
     La fête était rehaussée encore par la présence solennelle de Mgr Sourrieu, archevêque de Rouen  et de Mgr l’évêque de Blois. A 11 heures, sa grandeur prononçait à l’Abbaye un discours magnifique, composé avec beaucoup d’éloquence et de talent, où il faisait l’éloge de son ami M. A. Le Grand ; puis après avoir appelé sur les nouveau bâtiments la bénédiction divine, il décora l’aimable directeur du titre de commandeur de l’ordre de Saint-Grégoire-le-Grand, à midi eut lieu un magnifique déjeuner de soixante couverts présidé par M. Sourrieu.

       À 3 heures, un concert fort réussi fut donné par L’Harmonie dans le square, et les différents morceaux joués de façon remarquable ont tous été très applaudis.
      Une visite à la Distillerie, aux ateliers, aux salles de préparation et au musée extrêmement intéressant eut lieu ensuite.
       M. H. Vermont, avocat à la Cour d’appel de Rouen fit ensuite une conférence fort goûtée et M. Gourdon de Genouillac, président du Conseil d’administration a remis à M. Le Grand et à ses fils de superbes objets d’art, ainsi que des médailles qui furent distribuées à plusieurs ouvriers.
       Le soir a eu lieu un grand banquet de plus de 660 couverts qui réunissait dans une joyeuse et fraternelle intimité, patrons, bourgeois, journalistes, employés etc., et où règne tout le temps la plus franche gaieté. Différents toasts  ont été portés : citons notamment celui de M. Gourdon de Genouillac, fort spirituel, auquel M. A Le Grand répondit d’une façon pleine d’esprit. Puis notre confrère M. Max Sacerdot, parla au nom de la presse parisienne. Après le banquet les illuminations s’enflammèrent et un brillant concert eut lieu dans les jardins de la distillerie.

 
 
     L’éloge de la Bénédictine n’est plus à faire. Tout le monde a goûté de cette liqueur exquise , mainteant universelle. Elle fut découverte vers 1510 par un moine bénédictin, dom B. Vincelli, et on rapporte que François 1er en était fort friand.  A l’époque de la révolution la recette fût perdue et tomba dans l’oubli par la suite de la dispersion des moines, lorsqu’elle fût retrouvée en 1863, par M. A. Le Grand dont un des oncles avait été procureur fiscal à l’abbaye. La précieuse liqueur revît le jour, son succès s’accrut rapidement, à chaque instant il devint de plus en plus grand, et la vente annuelle atteint à présent le chiffre énorme de plus d’un million de bouteilles. Cette liqueur est en effet à cent coudées au-dessus de toutes les liqueurs similaires, tant par son goût exquis, que par sa finesse et ses différentes qualités hygiéniques.

       Merci encore à MM. Le Grand de leur accueil charmant, dont je garderai toujours un souvenir excellent, ainsi que la magnifique fête que je contemplai dimanche.
Roger du Bled