FÉCAMP-FESTIF - La FÊTE EN SALLE
 Dernière mise à jour : 26 février 2017 
 

LE LIVRET ET LA PARTITION

PREMIER TABLEAU

 

     C’est la rencontre d’une étrangère, l’Administration centrale (Melle Petit) qui raconte à un brave garde champêtre (M. Tronel) qu’elle est chargée de faire rentrer l’argent dans les caisses de l’Etat. Mais voici une tapageuse marchande de poisson (Mme Sylvia Bocquet) qui sur l’air joyeux de la Fille de Mme Angot nous “explique” comment elle “pratique” pour ramasser des sous, suivant une méthode qui pourrait bien changer d’ici peu. Entre temps le Nouvel Hôtel des Postes (M. Lebon) nous narre les petites difficultés de son service. Puis l’Etrangère nous met au courant de ses vrais problèmes qu’elle égraine humoristiquement dans trois couplets sur l’air de Drumont : elle procède, d’accord avec le Conseil municipal, à une enquête afin que la plage de Fécamp soit classée, ainsi qu’on le lit sur l’élégante écharpe qu’elle porte en sautoir, “Station climatique”.

     Mais le compère, Fécamp-Hareng, dont le costume est fort original, a tout entendu : il proteste de toutes ses forces – mais combien joliment, grâce à la mélodieuse musique du Carillonneur, de Darniderff – très applaudie –contre les projets révolutionnaires de la novatrice :

 

Entendez donc le cri d’alarme

Que nous faisons monter vers vous

Dans nos prières, il y a des larmes,

Car vos projets sont un peu fous.

Que Fécamp-Bains n’ait pas la cote

C’est le moindre de nos soucis,

Car, nous pouvons vivre bien ici

Sans Plage-Mode !

 

     Et, voilà où l’intrigue va commencer – car il y a une intrigue sentimentale fort bien agencée ma foi. Fécamp-Plage, qui devait être aux aguets, Fécamp-Plage, la toute gracieuse commère (Mme Clébant), élégamment costumée et chapeautée, s’approche et, câlinement, langoureusement, sur l’air de la ravissante romance des Dragons “Ne parle pas” demande à Fécamp-Harengs de ne rien prendre au tragique.

 

Ne dis pas cela Jean-Pierre, je t’en supplie,

Car tout comme toi, j’aime mon vieux Fécamp

Et de chagrin mon âme est toute remplie

De t’avoir vu en douter un instant

 

     Tout doit se concilier, l’argent de l’étranger peut venir grossir les recettes de Fécamp-Plage, station climatique, sans que Fécamp ne cesse d’être le pays du hareng saur !
 

     Jolie et aimable présentation de la commère au public, qui vaut les applaudissements les plus flatteurs. A son éloquent et affectueux plaidoyer vient se joindre celui de M. le Casino (M. Tronel) qui très chic dans son frac de chez le bon faiseur et sur un air connu de M. Adrien Constantin, nous vente avec esprit les mérites de ses directeurs, gens pleins de « cœur » et de “générosité”.

     Fécamp-Pinard (notre ineffable comique Séverin Lair) fait alors son entrée, ayant en main la preuve manifeste qu’il caresse volontiers la dive bouteille. Très paterne, il donne raison à tout le monde et, sur l’air fameux du duo des Dragons de Villars, il invite la commère à triquer avec lui.

 

      Disons bien vite tout le succès obtenu par cette joyeuse et pimpante musique sur laquelle les auteurs ont parodié d’amusants couplets. Fécamp-Pinard, qui s’était un peu trop enflammé, est ramené au sens de la réalité par Fécamp-Plage qui lui annonce son prochain mariage avec Fécamp-Hareng ; et, d’ailleurs, il se ressaisit bien vite, car il est marié depuis quatre mois et il nous le chante comiquement, puis file bien vite à la recherche de sa tendre moitié.
 

     Nos tourtereaux, restés seuls, profitent de l’occasion favorable pour roucouler de superbe façon la fort belle musique écrite par Hérold pour le Pré-aux-Clercs, et qu’il est fort agréable d’entendre dans Fécamp s’amuse. Mme Clébant et M. Braquehaie s’y font applaudir et c’était justice.
 

     Mais nos joyeux saurins et leurs jolies compagnes, les ramendeuses, sont bientôt de retour, allumés par la promesse qu’on dansera à la noce de Fécamp-Hareng, prétexte pour nos spirituels auteurs d’évoquer les bals de Fécamp, anciens et nouveaux, ceux de l’Union, des Halles, du Casino, du Trianon-Casino qui sont successivement présentés. Viennent ensuite les anciens : celui de la Rouge, personnifié par M. Tronel, élégant dandy de l’école de Musset, fervent de la valse des courtisans de la lune, celui du trou-Madame, originalement caricaturé par M. Gillet ; celui de la Crevette, c’est la toute mignonne Mlle Renée Grenier qui donne un tour aimable à l’entrainante mazurka qu’elle chante d’une voix chaude et très prenante. Voici encore la Salle Japonaise, une délicieuse Mme Butterfly (Mme Sylvia-Bocquet), descendue d’un cadre du Japon pour nous susurrer un gracieux petit bonjour. Enfin celui de la Chaumière, par les chœurs, bien entraînés dans un galop effréné.
 

     “Fox-trottez”, si vous voulez, dit Fécamp-Hareng, mais, nous, les jeunes mariés, faut s’trotter en voyage de noces ». Où ira-t-on ? A Paris ? C’est trop près ! A Nice, à Monaco, ou, dans la même contrée, dit ce brave Fécamp-Pinard, à Singapour !! tout comme ce jeune conscrit, M. Clémenceau, qui trouve que les voyages forment la jeunesse ! Et tout compte fait, parce qu’on a, en ces temps de vie chère, le sens des économies, on ira…. A Goderville !!
 

     Et Goderville est adopté d’enthousiasme. Mais avant d’aller faire ses préparatifs, le compère entonne un hymne à l’amour, repris avec une allure superbe par tous les invités, sur la musique si entrainante et si bien rythmée du Chant du retour, de Willems. Le rideau tombe pendant que les bravos frénétiques de la salle conquise, salue ce chœur final. 
 

SECOND TABLEAU : À GODERVILLE 
 

     Le décor splendidement brossé par l’habile peintre-décorateur, représente la place du marché de Goderville, avec l’église et la Halle comme fond de tableau. C’est jour de marché et, très animé, il bat son plein. Comment ne serait-il pas animé quand c’est Mme Sylvia-Bocquet, en paysanne croquée sur le vif, qui mène le train, entourée de très accortes marchandes de beurre, d’œufs frais, de volailles et de nourole. Eh ! oui, nous avons « z’yeuté » partout, et toute cette joyeuse turbulence, tout ce mouvement, toute cette couleur locale, - un tantinet réaliste, - nous a franchement ravis, d’autant plus qu’il y a promesse de baisse. Ah ! dame, il y a bien quelques protestations : un âpre désir de dissimuler une grosse part des bénéfices de l’année, mais il faut bien tout de même se décider à chanter le couplet de la baisse, dont Mme Sylvia souligne avec beaucoup d’à-propos toute la finesse, couplet auquel répond aussitôt celui de la Vie chère, par Fécamp-Hareng et tous nos citadins qui ont vite compris qu’il fallait songer à partir.
 

     La paysanne, qui n’a pas sa langue à sa poche, recommence à geindre parce que les vaches sont flagellés par la fièvre aphteuse, alors qu’à Fécamp le poisson n’est jamais malade. Alors ce farceur de Fécamp-Pinard, qui n’est pas venu à Goderville en voyage de noces pour pleurnicher, se met en tête de bourrer le crane des habitués du marché, en se prétendant l’inventeur d’un vaccin curatif de la « cocote ». Tout le monde, même M. le Maire (M. Tronel), très réussi dans l’accoutrement concassement solennel d’un maire campagnard, le ventre sanglé par une discrète (!) écharpe tricolore), M. le maire se laisse prendre à la jactance de Fécamp-Pinard ; mais il va tellement fort qu’il juge plus prudent de se sauver. Le maire reste seul, furieux d’avoir été berné de la sorte, ne reprend son équilibre que lorsque les chauffeurs d’autobus de Fécamp, Coquais (Gillet, admirablement grimé), His et Letellier lui font le récit de l’idylle de Fécamp-Pinard et de Fécamp-Plage. Sa bonne humeur lui revient et il nous prouve qu’il est maintenant à la page en nous le chantant gaiement sur l’air enlevant de la Madelon. Il est même prêt à tout admirer de ce qui vient de la ville voisine, y compris le joli billet de la Chambre de Commerce, dont tous les motifs et attributs, grâce à l’habile et heureuse présentation due au pinceau de Marc Sim, forment un tableau des mieux réussis.

     Melle Renée Grenier, gentiment costumée, portant les armes de la ville de Fécamp, nous le détaille avec beaucoup de charme sur une enveloppante mélodie d’Arezzo.

 

Je m’envole à la ronde,

Disant que mon Fécamp

Premier pays du monde

Est très intéressant

Je suis une réclame

Pour tant de commerçants,

Pour eux à tous je clame

Venez chez les normands !

 

     Les jeunes gens de Goderville, qui viennent d’arriver sur le marché, reconnaissent en Fécamp-Pinard et ses compagnons, les membres du cercle de la Symphonie Amicale qui les ont si divertis au dernier concert de chez eux. Enthousiasme général. Tous les Godervillais voudraient revoir dans leur bourg la fameuse Symphonie. Fécamp-Plage fait mieux et leur propose de descendre à Fécamp où ils assisteront à la réception des ministre Bignon et Thoumyre, qui se prépare pour le lendemain. La proposition est acceptée et sur l’air très entrainant des Saltimbanques, le chœur final entonne un chant de départ tout à fait de circonstance.
 

TROISIÈME TABLEAU
 

     Nous sommes au Bout-Menteux, avec la perspective, très heureusement réalisée, de l’avant-port, du pont à l’écluse, du poste de police, du bassin Bérigny et en fond d’horizon, la Côte de la Vierge.
 

     Nous retrouvons tous nos voyageurs pédestres, éreintés, fourbus et …. Dévorés par une soif ardente. Ils rencontrent sur le quai de la Vicomté le docteur Charcot (M. Tronel, en superbe uniforme colonial) et sa mission scientifique, faisant escale dans notre port avec le célèbre navire le Pourquoi-Pas ? Et tandis que les joyeux compagnons acceptent la proposition d’aller visiter le superbe bateau, le compère et la commère font la rencontre d’une charmante enfant, vêtue d’un costume ravissant de fraîcheur et de légèreté : c’est l’Amour, très gentiment personnalisé par Mlle Renée Grenier. Il nous explique sa mission dans le monde sur la musique berceuse et charmeresse de Paul Delmet. Le compère (M. Braquehaie) le félicite – en cela il est notre interprète fidèle – et lui donne aussitôt la réplique.
 

     C’est un succès de plus qu’il nous faut enregistrer, car le poème est exquis, la musique en mouvement de valse est expressive et le chanteur la met bien en valeur. Puis sur une allusion au célèbre Vase brisé, de Sully Prud’homme : « N’y touchez pas, il est….fêlé »,  entre en se dandinant la cloche de la jetée, la cloche à la brume, bientôt suivie par son antagoniste, le brouillard, figuré par un négrillon tout réjoui (M. Bodini). La Cloche (Mme Sylvia) – combien jolie et souple ! – raconte avec une originale volubilité sa principale mésaventure et carillonne gaiment les digue digue don de ses aînés les Cloches de Corneville.
 

     La commère rend hommage au rôle bienfaisant de la cloche, puis nous retrouvons nos voyageurs, et Fécamp-Pinard nous donne ses hilarantes impressions sur le Pourquoi pas ?  sur son gréement et sur son armement.

     Mais sa femme, qui a surtout le bon sens pratique des vraies Normandes du cru, se préoccupe de savoir où l’on va aller coucher. C’est pour notre incorrigible Fécamp-Pinard une occasion superbe de se vanter en étalant dans de piquants couplets, toute l’étendue de ses relations, qui ne serviront d’ailleurs à rien, puisqu’il n’y a plus de place dans les hôtels de Fécamp, tout ayant été réquisitionné pour loger les nombreux invités qui font escorte aux ministres. Fécamp-Hareng et Fécamp-Pinard ont chacun de leur côté, trouvé le filon en jetant leur dévolu sur l’exposition, où il y a tout ce qu’il faut, mais pour leur tranquillité, ils donnent à tous les autres le conseil d’aller se loger …. à la gare. Et, comme la retraite aux flambeaux passe aux accents entrainants de l’immortelle Sambre-et-Meuse, tous lui emboîtent le pas allégrement. Le rideau descend lentement, au milieu du crépitement des applaudissements qui saluent ce tableau dont le mouvement est bien réglé, la figuration nombreuse et bien allante.