FÉCAMP-FESTIF - La FÊTE en SALLE
Page créée le 25 février 2017

      Journal de Fécamp : Avril 1911
LES FÊTES LOCALES
 
On sent qu’ça pousse
Revue de printemps, de Charles Duboc, obtient un vif succès .....


        ..... Et l’on fête, d’excellents artistes au cours d’un concert très intéressant. Il s’est passé, au concert organisé, dimanche, par la Symphonie Amicale de Fécamp un fait que l’on ne saurait trop comment qualifier. Au nom de l’autorité municipale, Bertel, receveur du bureau de Bienfaisance, a pris possession du contrôle afin de s’assure que la Société ne fraudait pas sur les droits des pauvres.
 

       Quand on se souvient de la façon dont ce droit des pauvres est appliqué aux tournées étrangères à la ville qui enlèvent notre argent sans rien dépenser, quand on se souvient surtout que la Symphonie a à sa tête une homme d’une honorabilité tellement reconnue, qu’elle lui a valu un siège au Tribunal de Commerce, on ne peut que se demander à quels mobiles, aussi vils qu’indignes, l’administration a obéi en prenant une mesure semblable.

Les auteurs responsables de ce manque de tact et de cette grossièreté, s’ils avaient entendu les réflexions du public, eussent sans doute compris quelle gaffe monumentale ils avaient commise. C’est justement indigné, qu’au nom du public fécampois, fidèle à cette excellente Symphonie qui nous donne le rare plaisir de concerts artistiques et intelligents, nous protestons contre un tel sans-gêne, que le respect de nos lecteurs nous empêche seul de qualifier du seul mot qui serait juste.

        Ceci dit, il nous faut enregistrer un grand, un très grand succès de plus au compte de la Symphonie Amicale. Si l’administration Municipale n’aime pas la musique, le public fécampois en est féru, et il l’a prouvé, dimanche, en venant nombreux au Casino.
 

       On nous permettra bien de mettre en première ligne de ce compte-rendu M. et Mme Aghaton De Meyer. Je ne sais rien quant à moi qui soit plus émouvant que ces ménages d’artiste où deux êtres semblent se confondre dans le beau. La jolie ballade de Vieuxtemps a trouvé en eux des interprètes parfaits. Agathon de Meyer plaît par son art de nuancer, délicat et discret, sa sonorité d’une pureté de cristal, sa virtuosité magistrale ; Mme Agathon De Meyer y ajoute le complément harmonique, elle “n’accompagne” pas, elle “joue” et c’est bien le plus bel éloge qu’on puisse faire. Agathon De Meyer a voulu nous faire voir également ses talents de mandoliniste et il a comme on dit, quelque chose à montrer. Il n’y a pas, à mon avis, deux artistes au Havre qui sachent jouer de cet instrument particulièrement difficile et qui ne peut être joué que par des artistes. Et pour finir sur la note gaie, l’excellent concertiste havrais nous a régalé d’une imitation réussie de trompettes et d’orgue. On leur fait à tous deux un très légitime succès.

       Melle Lechevallier n’est pas seulement la sémillante commère que l’on sait ; c’est aussi une exquise divette douée d’une jolie voix, très pure, dont elle use avec beaucoup de goût. Elle a finement détaillé les couplets du Péché  - du joli péché - et les Vieilles chansons. Mme Larose se fit longuement applaudir dans Hérodiade et dans La reine de Saba qui lui permirent de faire apprécier par un public vite conquis les ressources d’une voix chaude et enveloppante.

Fin diseur, Courroy nous a dit avec esprit un badinage de Grenet-Dancourt et avec feu une fort belle pièce de vers de Fauchois Les marseillais à Paris.

L’excellent chanteur rouennais Bellamy retrouva son succès habituel dans ces chansonnettes de genre où il excelle, et Brejnev - qui remplaçait Delacroix, malheureusement aphone - chanta d’une voix puissante et agréable de grand baryton, plusieurs mélodies dont les exquises Pages de la vie du bon maître havrais Laisney. Enfin désireux de faire plaisir à votre serviteur, l’aimable Cécilien Reneault voulut bien interpréter, à la place de Delacroix, Le Pèlerin d’amour Il mit de la vie de la puissance dans cette bluette sans prétention. Reneault a fait là un acte de bonne amitié pour l’auteur dont celui-ci tient à le remercier bien vivement. Le piano d’accompagnement était tenu par un jeune professeur du Havre Mlle Maupin.
 

       J’ai gardé pour la bonne bouche la Symphonie elle-même. La phalange de musiciens que Moreau tient sous sa baguette est de plus en plus homogène. Elle fait de véritables prodiges et le concert de dimanche a démontré une fois de plus sa valeur, sa cohésion et sa discipline. Qu’il s’agisse de l’ouverture symphonique des Aveugles de Tolède, de l’entrainante valse Miralda,  de l’intéressante fantaisie sur Faust, ou de la curieuse Auvergnate de Ganne,  Symphonie fut parfaite de tous points. Il faut lui tresser des couronnes de laurier et citer tout spécialement l’hautboïste, Mail dont on a fort admiré la pureté de son et l’élégance ; le clarinettiste, Lacorne ; le piston, Rousseau ; tous solistes “talentueux” comme dirait “le commerce local”.

        Le concert se terminait par une revue de printemps de mon excellent ami et ancien collaborateur Charles Duboc, pour le livret et de M. Adrien Constantin, pour la musique. Elle est pétillante d’esprit et l’on s’est fort diverti aux aventures de Popaul, fils du ministre de la pisciculture et de Polyte l’ineffable Polyte, un garçon de bureau qui n’est pas “à la manque” et qui vous fusille à bout portant de discours politiques dont M. Monis ferait ses dimanches. Il va sans dire que la visite de Polyte, venu tout exprès dans nos murs pour faire des sondages et cueillir les . . . Poires On sent qu’ça pousse !  est un prétexte au défilé de quelques actualités fécampoises. Le tramway, le commerce local, les musiques municipales et même l’aviateur Restanplan (Théagène) passent devant Polyte qui sonde . . .  sonde . .  et sonde.

       Un original tableau de petits chats, c’est le printemps, agrémente cette revue pimentée d’esprit et rehaussé d’une musique pétillante.

Lestement enlevée par les artistes de la Symphonie, la revue a obtenu un gros succès. Mlle Lechevallier, qui porte à merveilles le travesti, fut comme toujours amusante, entrainante - si j’osais, je dirais endiablée. - Polyte, c’était Séverin Lair, le réjouissant Lair, d’un sang-froid imperturbable, d’un comique achevé. C’est le compère rêvé d’une revue amusante –

       La fée printemps trouvait en Mme Larose une gracieuse interprète qui joue avec art et chante avec goût. Citons aussi Mlle Allain (Ursule) et les bons artistes, Tronel, un Restanplan superbe, Courroy un digne commerçant local, Chéron, Pallier, Richer, René Lanctuit. Les chœurs se sont tirés avec beaucoup d’honneur d’un exercice périlleux. Et quant à la Symphonie, elle a été comme toujours l’orchestre rêvé. Encore bravo !
 

       Et ne terminons pas ce compte-rendu sans féliciter hautement le distingué et si aimable président de la Symphonie, M. Louis Solsou, dont le dévouement n’a pas de borne et qui se dépense sans compter pour une œuvre qui est un peu . . . beaucoup la sienne, et dont il a droit d’être fier. Englobons, en des félicitations commues, les membres du bureau, les commissaires, le décorateur Grugeon, le grimeur Bertin et même le souffleur dont le rôle, s’il n’est pas muet et bien le pus ingrat des rôles.

 
                                                                                                                                                                                                     Désiré Lacoudre.